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Chapitre 3.8 : L’Année des Excommunications - (1207)

r308.jpgLa lumière du matin inonde la grande salle où je tiens audience. Je contemple les hauts murs ornés de tapisseries à l'effigie de saints et de scènes bibliques. Il est ironique que ces représentations sacrées soient témoins de ma déchéance spirituelle. Aujourd’hui, je reçois la missive du Pape Innocent III confirmant mon excommunication. Une sentence inéluctable, semble-t-il, pour avoir prétendument soutenu Raymond VI de Toulouse.

Audiarz entre en trombe, son visage rougi par l'angoisse. « Roncelin, écoutez-moi ! Ne restez pas passif face à cette injustice ! Vous devez réagir, affirmer votre innocence ! »

Je hausse les épaules, un soupir las échappant de mes lèvres. « Qu’importe, Audiarz ? Mon excommunication n’est qu’un outil dans les mains de ces seigneurs avides de pouvoir. Ma foi en l’institution a depuis longtemps cédé la place à une amère désillusion. »

Elle serre les poings, sa détermination perceptible dans chaque fibre de son être. « Si vous ne le faites pas pour vous, faites-le pour ceux qui dépendent de vous. Votre chute serait leur perte. »

En février, l’hiver s’attarde, et les nouvelles en provenance de l’Empire Germanique me parviennent avec une lenteur exaspérante. J’apprends que Philippe de Souabe a fondé la principauté de Livonie dans les terres glacées de la mer Baltique. Là-bas, Albert de Buxhoeveden tente d’y asseoir son autorité, mais les tensions avec les chevaliers Porte-Glaive fragilisent sa position. Combien de temps cette paix incertaine tiendra-t-elle avant que les ambitions humaines ne ravivent, une fois de plus, les flammes de la guerre ?

Une guerre qui fait toujours rage autour de Constantinople, où Francs et Romains fidèles au patriarche en exil à Nicée s’affrontent sans relâche. Ces « nouvelles croisades », menées tantôt contre les païens de l’Est, tantôt contre nos propres frères suivant les rites grecs, me laissent un goût amer. Trop de bons chrétiens s’égarent dans ces luttes stériles, alors qu’un seul combat devrait les unir : celui visant à garantir à jamais l’accès des fidèles au Tombeau du Christ.

En ce début d'année, j'assiste au débat animé entre mes conseillers. Les uns préconisent une prudence extrême, tandis que les autres m’incitent à prendre les armes contre ceux qui nous menacent. Audiarz, toujours pragmatique, me conseille de jouer la diplomatie tout en préparant secrètement nos défenses.

Les vents du printemps apportent des nouvelles encore plus sombres. Le Comte de Toulouse, Raymond VI, a été une fois de plus excommunié. Pierre de Castelnau, le légat du Pape, lui reproche son manque de zèle à exterminer les hérétiques cathares. Ce conflit religieux menace de plonger tout le Languedoc dans le chaos.

« Nous devons préserver nos terres de cette croisade imminente », insiste Audiarz, son regard scrutant les cartes étalées sur la table. « La foi est une chose, mais notre survie dépend de notre habileté à naviguer entre ces factions. »

Les chaleurs estivales ne dissipent pas les tensions. À la diète de Worms, Philippe de Souabe obtient la levée de son excommunication. Une réconciliation temporaire avec le Pape est scellée. Je ne peux m'empêcher de penser que ces alliances fragiles sont éphémères. L’ambition de chacun finit toujours par briser les pactes les plus solennels.

En ces mois de tourmente, je consacre mon temps à fortifier mes terres. Je supervise la construction de nouvelles fortifications, persuadé que la guerre n'est jamais loin. Audiarz, quant à elle, continue de tisser des alliances discrètes, préparant l'avenir avec une précision calculée.

Cependant, une ombre plane sur mon esprit. Chaque nuit, alors que le silence envahit mon château, je suis hanté par des questions de conscience. Ne devrais-je pas abandonner cette vie de pouvoir et reprendre la robe de moine ? Les plaisirs de la chère et de la chair m’enchaînent, mais ils ne m’apportent qu’une satisfaction éphémère. Audiarz, malgré sa proximité, ne comble pas ce vide spirituel qui grandit en moi.

En Septembre 1207 Le colloque de Pamiers marque un tournant. Ce dernier débat contradictoire entre catholiques, cathares et vaudois ne fait que renforcer les divisions. Diego d’Osma, figure respectée, tente en vain de trouver un terrain d'entente.

Je suis ces discussions de loin, avec discrétion, grâce à mon frère Jaufre, qui y prend part en tant qu’évêque de Béziers. À travers lui, j’observe les tensions croissantes qui s’y jouent. D’après ses récits, les visages des orateurs portent les stigmates de l’épuisement et de la ferveur. Leurs voix résonnent longtemps en moi, chaque échange dévoilant un peu plus l’ampleur de la fracture religieuse qui menace de déchirer la région.

À Marseille, les débats vont bon train. Certains de mes conseillers estiment que la querelle cathare pourrait être une opportunité inespérée pour me réhabiliter aux yeux du Saint-Père. D'autres, au contraire, rappellent que le comte de Toulouse fut un allié précieux et qu’il pourrait le redevenir. Notre honneur, ajoutent-ils, nous interdit de frapper un homme déjà à terre. J’écoute avec attention ces avis divergents, mais je demeure ferme dans ma décision. J’acquiesce à toutes les recommandations visant à témoigner ma bonne volonté envers l’Église, multipliant les dons somptueux aux fondations pieuses chères au pontife. Pourtant, je refuse catégoriquement de porter le moindre coup contre mon ancien allié. Je n’ai rien oublié : ni l’aide inestimable de Guilhem d’Ussel, ni les marques de considération dont son suzerain a entouré ma personne.

Audiarz continue d’intervenir avec force dans ces débats, mais sa voix m'irrite de plus en plus. Son insistance à vouloir diriger les décisions politiques devant mes conseillers me pousse à bout. À la fin du mois, je la convoque en privé.

« Audiarz, il est temps que tu te retires du conseil. Je suis le maître ici, et je ne peux tolérer que mes décisions soient constamment remises en question devant mes hommes. Désormais, si tu as des conseils à me donner, fais-le en privé. »

Elle acquiesce, un éclat de déception dans ses yeux. « Très bien, Roncelin. Mais souviens-toi que je fais cela pour notre survie. »

En octobre, la nouvelle du meurtre de Boniface de Montferrat par les Bulgares me parvient par les génois. Pour les Royaumes Francs d'Orient c'est comme un coup de tonnerre. Le roi de Thessalonique est tombé dans une embuscade. Sa disparition laisse un vide politique que beaucoup chercheront à combler.

« La mort d’un roi est toujours une opportunité pour certains », murmure Audiarz, contemplative. « Nous devons rester vigilants, Roncelin. L’instabilité est une mer agitée où seuls les navigateurs habiles survivent. »

Alors que l’année s’achève, je ressens une fatigue profonde. Les événements de ces mois passés ont érodé ma foi en la justice humaine. Pourtant, une lueur d’espoir persiste en moi. Mes gens comptent sur ma force et ma résilience.

Audiarz reste à mes côtés, toujours prête à me conseiller et à m’encourager. Ses paroles me rappellent que, malgré les tempêtes qui s’annoncent, nous avons encore un rôle à jouer dans l’histoire de cette région.

Mais la nuit, seul dans ma chambre, je médite sur ma relation avec Dieu. Mon corps, alourdi par les excès, me rappelle chaque jour que je m'éloigne du chemin de la vertu. Les étreintes avec Audiarz ne m’apportent plus la satisfaction d’antan. Je réalise que ce n’est pas une autre femme que je cherche, mais un retour à une vie spirituelle, à l’amour divin, le seul véritable.

« Le chemin est long, Roncelin », murmure-t-elle un soir, en regardant les étoiles. « Mais ensemble, nous pouvons surmonter les épreuves qui nous attendent. »

Je hoche la tête, m'agrippant à cette certitude. L'année 1207 fut celle des excommunications et des déchirements, mais aussi celle où j'ai appris que la foi en soi et en ceux qui nous entourent est parfois le seul rempart contre le chaos du monde.

Ainsi, je me tiens prêt pour les batailles à venir, fermement déterminé à défendre mes terres et ceux qui y vivent, qu’importent les décrets papaux ou les ambitions des puissants. Mon destin, je le façonnerai moi-même. J'espère.



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