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Chapitre 3.7 : La menace du Jugement - (avril 1206)

Plus tard en cette année 1206, après avoir rendu une visite courtoise à Adalasie au parloir du couvent, je retrouve l'évêque Rainier dans le calme de la petite chapelle attenante à l'Abbaye de Saint Pons. Il est non seulement mon confesseur, mais aussi un ami de longue date. Nous nous asseyons sur des bancs de bois simple, tandis que la lumière vacillante des bougies joue sur les murs de pierre.

"Roncelin," commence-t-il d'une voix douce mais ferme, "les murmures à propos d'Audiarz se font de plus en plus persistants. On parle de sa frivolité, de son goût pour le luxe. Certains Marseillais, même des marchands étrangers, murmurent que les taxes portuaires semblent servir à entretenir une..."dame frivole et capricieuse".

Je me redresse, piqué au vif. "C’est absurde, Monseigneur ! L'essentiel des taxes va à l'entretien du port, et vous le savez bien. N'oubliez pas aussi les fonds alloués à l'achèvement de l'Abbaye de Saint Pons, un projet qui vous tient à cœur."

Rainier hoche la tête, un sourire triste aux lèvres. "Je ne doute pas de tes intentions, Roncelin. Mais la vérité a souvent moins de poids face aux symboles. Les calomnies voyagent plus vite que les louanges. Une femme aussi visible qu'Audiarz, dans une position de pouvoir, devient facilement une cible."

Ses paroles résonnent en moi, écho de ce que Guilhem et Bartolomeo m'ont déjà fait comprendre. Ma position, bien que solide en apparence, pourrait vaciller sous le poids des rumeurs et des malentendus.

En rentrant ce soir-là, je trouve Audiarz dans notre chambre, parée de ses atours les plus somptueux. Elle m'accueille avec un sourire malicieux, mais je suis déterminé à aborder le sujet.

"Audiarz, il faut que nous parlions," dis-je, ma voix plus dure que je ne l'avais prévu. "Les critiques sur tes dépenses extravagantes deviennent de plus en plus virulentes. Cela pourrait nuire à notre position."

Elle s'approche lentement, son regard captivant rivé au mien. Avant que je puisse dire autre chose, elle pose une main sur ma poitrine, me faisant taire par son simple toucher. "Roncelin," murmure-t-elle, "ne te laisse pas troubler par ces bavardages. Nous avons d'autres préoccupations, n'est-ce pas ?"

Sous son charme, je me sens faiblir. Elle m’entraîne dans la chambre, où mes reproches s’évanouissent dans la chaleur de ses étreintes. Mais au matin, alors que la lumière du jour filtre à travers les volets, je me réveille avec un goût amer. Comment ai-je pu être si facilement détourné ?

Je me rends de nouveau à la chapelle, le cœur lourd. Je m'agenouille devant Rainier, avouant ma faiblesse.
Rainier m'écoute avec une bienveillance empreinte de gravité, mais je devine une tristesse profonde dans son regard. Après un silence méditatif, il prend la parole d'une voix douce, mais ferme.

"Prends bien garde, Roncelin. Les liens sacrés du mariage sont certes un engagement devant Dieu, mais ils ne sont pas un rempart absolu contre les tentations du péché. Si tes sens te gouvernent au point de troubler ta raison, ils risquent de te détourner de la voie de la Foi. Souviens-toi que l'amour véritable élève l'âme, tandis que les plaisirs éphémères peuvent l'asservir."

Ses mots résonnent en moi avec une force troublante. Je sens une chaleur de remords s'insinuer dans ma poitrine. Les images d'Audiarz, sa beauté enivrante et ses caprices, s'entrelacent avec mes souvenirs de prières ferventes et de promesses sacrées. Je réalise combien mes actes me placent sur un chemin périlleux, écartelé entre mes devoirs spirituels et mes désirs charnels.

Un doute lancinant me ronge : suis-je en train de trahir les fondements de ma foi pour des plaisirs passagers ? Mon cœur se serre, partagé entre l'envie de me ressaisir et la faiblesse qui me pousse à céder encore. Les mots de Rainier continuent de murmurer en écho, m'invitant à une introspection douloureuse.

Je quitte l'évêque avec le poids de mes remords alourdissant chaque pas. La nuit qui s'ensuit est longue, peuplée de réflexions amères et d'une lutte intérieure entre la raison et la tentation.

Voici un passage détaillé sur cet épisode de 1206, mettant en scène Roncelin, Audiarz et ses conseillers, ainsi que la bataille décisive sur la rive sud de la Durance.


La nouvelle de la rébellion de Guillaume de Forcalquier me parvient par l’un de mes émissaires, essoufflé après une chevauchée éreintante.

— Seigneur, Forcalquier a levé bannière contre les Catalans. Il rassemble ses chevaliers près de Sisteron. On dit qu’il compte reprendre ce qu’il a cédé.

Je serre les dents. Je connais les ambitions de Forcalquier, et plus encore, je sais ce que cette révolte signifie pour nous, vassaux sous domination catalane. Autour de moi, dans la grande salle de mon hôtel particulier, mes conseillers se regardent en silence. Chacun jauge la situation, pesant le pour et le contre.

C’est Audiarz qui brise la torpeur.

— C’est l’occasion rêvée, Roncelin, dit-elle en s’avançant vers moi, son regard perçant plongé dans le mien. Si Forcalquier l’emporte, le comté retrouvera sa souveraineté et toi, tu pourrais regagner ce qui t’appartient de droit. Pourquoi rester spectateur quand l’histoire s’écrit à notre porte ?

Sa voix est douce, mais pleine de feu. Sa main effleure la mienne sur l’accoudoir de mon siège. Elle veut attiser en moi cette flamme, ce désir de grandeur qui, je le sais, brûle toujours sous la surface.

Mais Hugues de Fer, mon viguier, toujours sage et prudent, lève un sourcil et secoue la tête.

— C’est une folie, messire. Forcalquier est certes puissant, mais Alphonse n’est pas un adversaire à prendre à la légère. Ses armées sont disciplinées, et ses chevaliers bien équipés. Si nous nous joignons à cette rébellion et que Forcalquier échoue, nous serons écrasés sous la vengeance des Catalans.

— L’honneur exige que nous saisissions cette opportunité, rétorque Audiarz. Combien de temps encore allez-vous plier le genou devant des étrangers ?

Un murmure parcourt l’assemblée. Certains sont troublés, tentés par ses paroles. D’autres baissent la tête, soucieux.

— L’honneur ? reprend Arnulphe le Normand, vétéran de mille batailles. L’honneur n’a que peu de poids face aux lances ennemies. Nous devons penser à la survie de nos gens, pas à de vaines rêveries de gloire. Nous avons combattu avec honneur et obtenu, par notre sang, une paix honorable. Et l'Église a garanti cette paix, n’est-ce pas, Monseigneur ?

— Vous avez raison, Messire, intervient l’évêque Rainier. C’est une Paix de Dieu qui a été déclarée. Et Forcalquier vient de la violer. Vous n’êtes guère en position d’affronter l’Église et le Pape frontalement, Roncelin, vous savez pourquoi.

Je les écoute tous, pesant le destin qui repose entre mes mains. Mais au fond de moi, je le sais : Audiarz parle à mon orgueil, mes conseillers parlent à ma raison.



Je me lève, et d’un geste, j’impose le silence.

— Nous ne bougerons pas. Forcalquier agit seul. Il n’aura pas nos forces ni notre soutien. Nous observerons l’issue de cette bataille et nous aviserons ensuite.

Audiarz me regarde longuement, déçue, mais elle ne dit rien. Elle sait que la décision est prise.


Quelques jours plus tard, la bataille éclate sur la rive sud de la Durance.

Forcalquier a rassemblé ses chevaliers et ses fantassins, espérant une victoire rapide contre les Catalans. Mais Alphonse d’Aragon a anticipé l’attaque. Ses forces sont prêtes, rangées en ordre de bataille sous les oriflammes aux couleurs de Barcelone.

Lorsque le combat commence, la Durance est haute, gonflée par les pluies récentes. Les troupes de Forcalquier, surprises par la discipline et la puissance de l’ennemi, sont repoussées.

— Tenez la ligne ! hurle un capitaine provençal alors que les cavaliers catalans fondent sur eux.

r307b.jpgMais le désordre s’installe. Sous le choc des charges, les hommes de Forcalquier reculent, puis rompent. La Durance devient un piège. Des chevaliers tentent de fuir en traversant le torrent tumultueux. Les plus forts y parviennent, mais beaucoup sont emportés par le courant ou abattus par les archers catalans embusqués sur l’autre rive.

L’eau se teinte de sang. Des corps flottent, ballottés par la violence du fleuve.

En fin de journée, la défaite est consommée. Forcalquier fuit, sa bannière abandonnée sur le champ de bataille. Ses chevaliers sont morts, captifs ou dispersés.


Lorsque la nouvelle de la débâcle parvient à Marseille, Audiarz est silencieuse.

Je la retrouve dans notre chambre, penchée sur un ouvrage, mais son regard est vide.

— Nous avons bien fait de ne pas nous engager, dis-je doucement.

Elle referme son livre d’un geste sec.

— Peut-être. Mais combien de temps devras-tu encore attendre avant de réclamer ce qui t’appartient ?

Je n’ai pas de réponse à lui offrir. Pour l’instant, je suis encore debout. C’est déjà une victoire.





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