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Chapitre 3.15 : Le dernier pèlerinage - (1215)

L'an dernier, maitre Pierre, curé de Saint Giniez, a eu l'idée de construire sur la colline dénommée « La Garde » qui domine le Port de Marseille, une chapelle dédiée à la Vierge Marie. Cette colline appartenant à l'abbaye de Saint-Victor, il avait besoin de mon autorisation d'entreprendre les travaux. Je n'ai pas hésité à lui permettre d'y planter des vignes, d'y cultiver un jardin et d'y bâtir une chapelle. Elle sera un phare de foi et d’espoir pour les marins et les habitants de Marseille. Je suis convaincu qu’elle apportera protection et bénédiction à cette ville que j’ai tant aimée et tous pourront la voir depuis la Terre ou depuis la mer.

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Après avoir mis en ordre les affaires de l'abbaye et pourvu aux travaux de la Chapelle de la Garde, je suis reparti vers la grotte de la Sainte Baume, le souffle court et le cœur alourdi par les années de pérégrinations et de combats, mais aussi par une paix nouvelle, inattendue, depuis que j'ai résolu le mystère. Le soleil de printemps éclaire les falaises autour de moi, et je ressens une étrange sérénité malgré les douleurs qui persistent.

Depuis la mort d'Élie, je ressens l’appel de ce lieu sacré, comme une invitation à conclure mon voyage terrestre là où Marie Madeleine, elle aussi, avait trouvé la paix. Avant d’entreprendre ce dernier pèlerinage, je m’assure que Maître Pierre recevra tout le soutien nécessaire pour bâtir sa chapelle. Et qu'une place me sera réservée dans ses fondations.

Le chemin jusqu’à la Sainte Baume est long et pénible, mais il me permet de faire une halte à Gémenos. Adalasie m’accueille avec son calme habituel, mais je vois dans ses yeux une tristesse qu’elle ne peut dissimuler. Nous échangeons quelques mots simples, mais empreints d’une profondeur que seul le silence peut révéler. Nous savons, sans avoir besoin de le dire, que c’est la dernière fois que nous nous voyons sur cette terre. Elle me bénit une dernière fois, et je quitte le monastère avec un poids de mélancolie mêlé à une douce acceptation.

Sur la route, je suis accompagné par Arnulphe le Normand et Basile de Makourie, Le normand blond et l'africain noir, mes deux hommes d’armes qui ont troqué la guerre pour la paix de la robe monastique. Leur présence me rassure, comme si l’ancien soldat en moi trouvait un ultime refuge parmi ses frères d’armes, devenus frères de foi. Je sais qu'ils honoreront mes dernières volontés.

Nous faisons halte dans la cabane de Marius Savi, dit « Cuculo Verd », le colosse au visage marqué, terriblement déformé par le temps et les blessures de la vie, mais dont le cœur reste aussi vaste que sa stature imposante. La cabane, perchée à l'orée d'une forêt séculaire, semble luttant contre l'inévitable déclin, comme si même les murs de bois murmuraient des prières pour apaiser le destin.

À peine avons-nous franchi le seuil que Marius se précipite vers moi, les yeux inquiets et la voix tremblante.

« Roncelin, je t'en conjure, ne monte pas à la grotte. Tu sais bien que cet effort te tuera ! » s'écrie-t-il, ses traits burinés se plissant sous l'effort de l'inquiétude.

Je lui souris faiblement, tentant de dissiper ses craintes, malgré le poids de mon destin.

« Marius, c’est ici que je dois être. Je ne peux fuir mon chemin, même si la fin me guette. »

À côté, Arnulphe et Basile, présents en soutien silencieux, se lancent des regards entendus. Leurs regards affirment sans un mot que je suis venu ici pour mourir, comme la pécheresse convertie à laquelle je m’identifie tant.

« Nous savons ce qui t’attend, Roncelin, » murmure Basile d'une voix douce, presque inquiète, « et nous sommes ici pour te soutenir, jusqu’au dernier souffle. »

Arnulphe, le visage marqué par l'expérience, ajoute en hochant la tête : « Tu as toujours su que le temps viendrait. Laisse le destin suivre son cours. »

Le silence s'installe un instant dans la petite cabane, entrecoupé seulement par le crépitement du feu qui réchauffe à peine l'atmosphère lourde d'une fatalité inéluctable. Puis, résolu, je me lève. Je sens chaque muscle se rebeller, chaque pas devenir une épreuve. La cabane se fait le témoin de mes adieux silencieux à une vie déjà bien remplie de doutes, de peines et de rédemption.

« Je vais y aller, » dis-je d'une voix rauque, presque imperceptible. « C’est là que mon âme retrouvera enfin la paix. »

Marius, bien que toujours inquiet, ne peut s'empêcher d'exprimer sa douleur dans un dernier regard chargé de supplication.

« Que Dieu te garde, Roncelin. »

Je lui serre la main, puis me tourne vers Arnulphe et Basile qui, en silence, m'accompagnent jusqu'au sentier menant à la grotte.

La route est étroite et escarpée, serpentant à travers des roches érodées et des pins centenaires, dont les aiguilles semblent pleurer des gouttes de rosée funeste sous le regard du ciel gris. Chaque pas me rappelle la fragilité de ma condition ; mon souffle se fait court, et je sens la lourdeur du temps peser sur mon cœur fatigué. Pourtant, malgré la douleur et la lassitude, mon esprit reste déterminé, animé par une foi qui transcende la souffrance.

« Roncelin, » m'interpelle Basile à mi-chemin, sa voix tremblante d'émotion contenue, « tu as parcouru un long chemin pour arriver jusqu'ici. Regarde autour de toi... » Il désigne du doigt le paysage désolé qui s'étend, avec ses cimes mourantes et ses vallées silencieuses. « La nature elle-même semble te préparer à un dernier repos. »

Je hoche la tête, le regard fixé sur l’horizon, où le crépuscule étend ses teintes sanglantes. « Oui, Basile, je sens que la fin est proche, » réponds-je, mes mots résonnant dans l’air froid et mourant de la journée.

Nous arrivons enfin devant l’entrée de la grotte. L’obscurité, profonde et accueillante, se présente comme un ultime refuge pour mon âme enfin apaisée. Sur une grosse pierre, je m'installe, face à l'ouverture béante qui semble avaler la lumière du jour. Je ferme les yeux quelques instants, laissant la quiétude des lieux m’envelopper, tandis que le vent glacial murmure dans les crevasses, comme une berceuse funèbre.

Marius, Arnulphe et Basile se tiennent en retrait, respectant le silence solennel de l’instant. Avant de s'éloigner, Marius m'adresse un dernier regard, mêlant tristesse et fierté.

« Que ta route soit parsemée d’étoiles, Roncelin. » murmure-t-il.

Je réponds d'un léger sourire, conscient que, bien que mon corps se prépare à s'éteindre, mon esprit vivra dans l'éternité des souvenirs et des prières. Chaque battement de mon cœur, malgré sa faiblesse, semble battre au rythme d'un destin déjà tracé, celui d'un homme qui a embrassé sa fin avec dignité.

« Je vous remercie, mes amis, » dis-je d'une voix plus forte qu'attendue, cherchant à graver mes adieux dans la pierre et le temps. « Je vais enfin retrouver la paix, et peut-être, dans le silence de cette grotte, je trouverai le salut que j’ai tant cherché. »

Alors que le crépuscule s'efface en une nuit profonde et étoilée, je m'avance seul vers la grotte, chaque pas résonnant comme l'écho d'une vie qui se termine. Les ombres se fondent dans la pierre, et l'air se remplit d'une mélancolie douce-amère. La fin est proche, et dans ce silence éternel, je laisse mon cœur se libérer de ses fardeaux, prêt à accueillir la lumière d'une autre existence.


Le silence autour de nous est profond, presque tangible, interrompu seulement par le chant des oiseaux et le murmure du vent. Je m'attarde à humer les senteurs envoûtantes de la garrigue, froissant délicatement entre mes doigts une branche de thym vert. Son parfum, évocateur des tisanes apaisantes de frère Damien, m'infuse un ultime élan de vitalité.

Je demande du parchemin et une plume. Mes mains tremblent, chaque mouvement me coûte, mais je ressens l’urgence de coucher sur ces feuilles mes dernières pensées. Après une prière fervente, la récitation d’un chapelet, je commence à écrire. Chaque mot est un effort, mais aussi une libération. Je raconte ces dernières journées, la fatigue, la douleur, mais aussi la paix intérieure qui m’a envahi.

Le soleil commence à décliner, ses rayons dorés éclairant les falaises de la Sainte Baume. Je sens mes forces me quitter peu à peu, mais je continue d’écrire, porté par une énergie spirituelle qui dépasse les limites de mon corps affaibli. Enfin, je vais poser ma plume et contempler une dernière fois ce monde que j’ai tant aimé.

J'ai pêché, beaucoup, mais j'ai aimé encore plus. J'ai aimé cette terre, ces hommes, ces femmes, cette abbaye, cette ville plus que moi-même. Que Dieu, béni soit Son Nom, me pardonne.

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