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Chapitre 3.12 : La force de l'humilité (1211)

Je suis dans ma chapelle, au château Babon, perdu dans mes pensées. La promesse faite le soir de Noël dernier me hante encore. Le poids du renoncement à ma vie séculière est écrasant. Devant moi, une lettre anonyme. Les mots y sont rudes, une mise en garde contre un complot visant à me discréditer avant mon départ. La peur de l’inconnu se mêle à l’inquiétude pour l'avenir.r312.jpg

Je prends la route vers les terres d'Hugues des Baux. La tension est palpable lorsqu'il m'accueille. Nous évoquons des souvenirs de nos anciennes rivalités, et bien que nous soyons alliés maintenant, les cicatrices du passé ne se sont pas entièrement refermées. Hugues me met en garde contre les factions qui pourraient exploiter mon départ pour affaiblir Marseille. Une discussion à huis clos révèle des menaces potentielles de nos anciens ennemis.

De retour à Marseille, je fais face à l'épreuve la plus douloureuse : la répudiation d'Audiarz. Devant la chambre des consuls, je prends la parole. Le silence dans la salle est écrasant, les regards hostiles de certains consuls me pèsent lourdement. Audiarz, prévenue, a déjà quitté ses appartements. Lors de mon discours, un émissaire de sa famille, au visage sombre, menace subtilement de représailles. Audiarz part dignement, mais son absence laisse un vide déchirant.

Le voyage vers Rome commence sous un ciel sombre et menaçant. Le vent se lève dès que nous quittons le port de Marseille, et bientôt, la mer se déchaîne sous l’effet d’une tempête violente. Les vagues déferlent contre le navire, le vent hurle dans les voiles, et la pluie s’abat sur le pont comme un déluge céleste. Chaque homme à bord est tendu, priant pour que le bateau tienne bon. Après des heures de lutte contre les éléments, le capitaine décide de nous abriter à l'île d'Elbe. Là, dans le port protégé, nous attendons que la tempête s’apaise. Ce répit nous permet de reprendre des forces, mais l'inquiétude persiste.

Quelques jours plus tard, nous reprenons la mer sous un ciel enfin apaisé, et le voyage jusqu'à Ostie se poursuit sans encombre. À notre arrivée à Rome, une atmosphère solennelle imprègne la ville. La grandeur des édifices, le tumulte des rues, tout semble respirer la gravité et l'importance de ce lieu saint. Pourtant, l'attente pour une audience papale est interminable. Les jours s’étirent dans une lenteur pesante, et je ressens le poids de l’incertitude. Chaque jour, je me rends à la basilique Saint-Pierre, espérant une nouvelle de mon audience avec Sa Sainteté.

C'est durant ces moments d’attente que j’entends les rumeurs à propos d'un jeune prédicateur nommé François d’Assise. On murmure dans les rues qu’il est venu à Rome avec une petite troupe de disciples, cherchant la bénédiction du pape pour une vie de pauvreté et de service. Sa foi ardente, son humilité sans faille, et sa capacité à toucher les cœurs fascinent tout le monde. Il y a quelque mois, le pape aurait vu en songe ce François soutenant la basilique Saint-Jean-de-Latran, cathédrale de Rome en ruines, et validé verbalement la première règle rédigée par François régissant sa fraternité naissante. Intrigué, je décide de le rencontrer.

La rencontre a lieu dans une petite église à l'écart des grandes avenues de la ville. François d'Assise, un jeune homme d'apparence frêle, se tient là, vêtu d’une simple tunique de bure, les pieds nus sur les dalles froides. Il est entouré de quelques compagnons, tous aussi modestement vêtus. Ses yeux, d’un brun profond, irradient une lumière intérieure, une sorte de chaleur qui semble envelopper tous ceux qui croisent son regard.

Dès les premiers instants, je suis frappé par son humilité. Il parle parfaitement provençal, d'une voix douce mais assurée, chaque mot empreint d'une conviction inébranlable. Il ne cherche ni à impressionner ni à dominer, mais il captive par la sincérité de son discours. François raconte comment il a abandonné les richesses de sa famille pour suivre l’appel de Dieu, pour vivre dans la pauvreté et servir les plus démunis. Il parle de l'amour divin avec une intensité qui semble transcender les barrières du langage.

Alors que je l'écoute, je suis profondément touché par sa simplicité et sa dévotion. Il incarne une foi vivante, une spiritualité authentique que je n'ai jamais rencontrée auparavant. François ne prêche pas seulement par ses paroles, mais par son exemple. Il est un modèle d'abandon total aux desseins du Seigneur, et sa présence seule semble apaiser les doutes et les peurs.

Nous parlons longuement, et il me raconte ses projets de fonder une fraternité dédiée à la pauvreté et à la charité. Ses idées, bien que radicales, résonnent en moi comme une vérité profonde. Je suis ému par sa vision d'une Église proche des pauvres, humble et servante. À la fin de notre rencontre, François pose une main légère sur mon épaule et me bénit, un geste simple mais chargé de signification.

En quittant l’église, je me sens transformé. La rencontre avec François d'Assise a réveillé en moi une foi plus profonde, une compréhension plus claire de l’humilité et de l’abandon. C'est avec un cœur renouvelé que je retourne attendre mon audience avec le pape, fortifié par l’exemple de cet homme extraordinaire.

Enfin, devant le pape Innocent III, je fais acte de contrition. L'atmosphère est lourde, chaque mot pesant. Je m'incline, prêt à accepter toutes les pénitences. Le pape, après un long silence, m'absout et me charge de rénover l'abbaye de Saint-Victor. Il me demande de dire chaque semaine une messe pour la conversion des hérétiques, le regard voilé de tristesse. Tristesse pour ces âmes égarées, qui se sont détournées de la vraie foi, mais aussi pour le sort terrible qu’elles ont subi.

De retour à Marseille, je reviens solennellement à Saint-Victor, aux cotés d'Arnulphe. Le géant normand rayonne que je l'aie enfin relevé de son service des armes. Puis, je rends visite à Adalasie, mon ancienne épouse, maintenant moinesse à Gémenos. Nous partageons un moment de paix, une réconciliation silencieuse. Son regard, apaisé, me rappelle que nos chemins spirituels se sont croisés pour une raison. Que nous avons partagé bien plus qu'un lit et des épreuves.

La nouvelle d’un complot me parvient peu de temps après. Déliés de leur allégeance à ma personne, une faction de consuls souhaite établir une République, refusant de payer les taxes. Lors d'une messe solennelle à l'abbaye, je me tiens devant l’assemblée. Le jour de la fête de Saint Victor, l’église est pleine à craquer. Riches et pauvres sont réunis. Revêtu de mes habits sacerdotaux, je parle avec humilité, révélant les intentions des conjurés et faisant acte de contrition pour mes propres péchés. Je rappelle aux pauvres tout le bien que l'abbaye leur offre grâce aux contributions des riches. Les hôpitaux, les distributions, l'école.

Pour donner l'exemple, je déclare publiquement renoncer à toutes mes possessions restantes pour les offrir à l'abbaye. L’ovation commence parmi les pauvres, et je vois les riches se retourner, conscients de la faveur que cette annonce m’a accordée auprès de la population.

Boniface Borély est le premier à céder. Avec enthousiasme, il promet de verser une double dîme l’année prochaine et de s’opposer à la République. Il est rapidement suivi par Grégoire Paquet. Peu à peu, tous les membres des premiers rangs se joignent à cet élan, promettant à leur tour, dans une cohue indescriptible, sous les vivats de la foule.

Je lève les mains pour réclamer le silence. Puis, d'une voix forte, je remercie Saint Victor d’avoir permis que l’Esprit Saint inspire notre assemblée. Ensuite, la messe reprend, dans un silence et un recueillement si profonds qu’on pourrait presque les toucher tant ils sont palpables.

Ce triomphe moral marque mon retour en grâce. Après la messe, dans ma chapelle privée, je remercie Dieu pour m’avoir montré, par l'exemple de François, la force de l'humilité.

La veille de Noël, l’air est frais et chargé de l’odeur des pins et de la terre humide. Le ciel, d’un gris lumineux, laisse deviner une promesse de clarté pour le lendemain. Je prends le chemin de l’abbaye des femmes de Gémenos, portant avec moi un panier garni d’épices rares et de friandises, précieuses offrandes pour célébrer la naissance du Christ. Les cloches résonnent doucement, rappelant aux âmes pieuses la solennité de cette nuit sainte.

À mon arrivée, la porte en bois massif de l’abbaye s’ouvre doucement. L’abbesse Gersende, au visage empreint de sérénité, m’accueille avec un sourire discret. À ses côtés se tient Adalasie. Nos regards se croisent, et pendant un instant, le temps semble suspendu. Ses yeux brillent d’une lueur de fierté mêlée de reconnaissance. Elle s’avance doucement, les mains jointes devant elle, et incline légèrement la tête.

"Roncelin," dit-elle doucement, sa voix empreinte d’une douceur presque tangible. "Votre présence ici est un baume pour nos cœurs en cette nuit de veille."

Je lui tends le panier, et elle l’accepte avec un sourire tendre. "Ces modestes présents sont pour vous et les sœurs, pour embellir vos célébrations de demain," dis-je, cherchant ses yeux.

Adalasie acquiesce, les yeux baissés un instant, puis elle lève de nouveau le regard vers moi. "Chaque geste de bonté est une bénédiction. Votre cheminement vers la foi et le service nous inspire toutes, ici."

Nous marchons ensemble dans les couloirs de l’abbaye, le silence seulement interrompu par le murmure des prières lointaines. Les murs de pierre semblent absorber chaque son, rendant l’atmosphère encore plus sacrée. Nous arrivons à une petite salle chauffée par un feu crépitant. Les flammes dansent, projetant des ombres mouvantes sur les murs.

Adalasie s’assoit près de l’âtre, et je prends place en face d’elle. Le silence s’installe, mais loin d’être pesant, il est empli de compréhension mutuelle. Ce silence raconte l’histoire de chemins divergents qui, par la volonté divine, se croisent de nouveau sous le signe de la rédemption et du pardon.

"Je vois en vous une transformation, Roncelin," finit-elle par dire, rompant le silence avec une voix douce mais assurée. "La force de l’humilité vous a conduit à la véritable charité. Vous avez trouvé la paix intérieure que tant cherchent sans jamais la découvrir."

Je reste muet un moment, méditant sur ses paroles. Le feu crépite, et les ombres continuent leur danse silencieuse. "Adalasie, votre foi et votre sagesse m’ont toujours inspiré. Ce chemin, bien que difficile, m’a montré la vraie nature du service de Dieu et de l'abandon à Sa volonté. Ce n’est pas une perte, mais une découverte d’un plus grand but."

Un sourire calme illumine son visage. "Le Seigneur œuvre en chacun de nous de manière mystérieuse. Votre présence ici ce soir est un témoignage vivant de cette vérité."

Nous restons là, enveloppés dans la quiétude de la nuit, partageant une compréhension silencieuse de notre parcours spirituel. Ce moment, simple mais profond, symbolise pour moi la véritable paix retrouvée. La résignation que je craignais s’est transformée en une vie de service sincère, m’apportant une sérénité que je n’aurais jamais cru possible.

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