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La Légion de Vattel (Chapitre 2 : La Bataille de Morat - 28 Septembre 1792)

FRgenDumouriez.jpgBrouillon de mémoires inédit retrouvé dans les papiers personnels de Charles de Vattel.

« Sitôt la ville conquise, je pris d'immediates dispositions pour que la petite garnison Prussienne soit traitée avec les honneurs et simplement consignée dans ses quartiers. Je me fis par précaution remettre les clefs de l'armurerie et de l'Arsenal, mais sinon j'invitais son commandant au souper et lui montrais le courrier que j'adressais immédiatement au Roi de Prusse pour le rassurer sur nos intentions. En fait je lui dictait nos conditions et ne lui laissait guère le choix.
Le Roi de Prusse restait, personnellement, le Prince de Neuchâtel. La ville et la principauté se dotaient de nouvelles institutions et législations démocratiques calquées sur la Monarchie Française encore officiellement en place. Mais comme c'était cela ou risquer l'annexion par la France, le vieux Frédéric Guillaume II dut avaler la couleuvre surtout qu'il était déjà occupé sur deux fronts, dans le Nord de la France et en Pologne.

Ce statu quo quant à la position diplomatique de la Principauté sur l'échiquier européen, que j'offrais en échange de notre autonomie interne me valut le ralliement de l'essentiel de la population de la Principauté, mais aussi une prudente neutralité de la part du puissant voisin Bernois.

Mais sans réellement le chercher, notre révolution pacifique relançait aussi, de l'autre coté du lac, les aspirations des sujets francophones de la Confédération aristocratique des cités alémaniques.

Le Pays de Vaud qui s'était déjà montré indocile en 1790 et 1791, en célébrant les grandes heures de la Révolution Française m'envoya une délégation, conduite par Frédéric-César de La Harpe, un juriste de Lausanne, cousin d'Amédée de la Harpe qui avait fuit le canton au moment de la reprise en main de Lausanne par les Bernois et était sous le coup d'une condamnation à mort par contumace.

Moins flamboyant que son cousin militaire, La Harpe, comme mon ancien précepteur David Marat, avait ses entrées à la Cour de Russie où il enseignait le Français, la diplomatie et les bonnes manières aux enfants impériaux.

Il se présenta à moi comme un modéré, effrayé par les débordements de la populace à Paris et dans les campagnes de France et désireux de proposer à Berne un plan de réformes pour en finir avec les inégalités entre citoyens des cantons fondateurs et des pays sujets ou alliés de la Confédération. En clair, de faire du Pays de Vaud un canton à l'égal des autres et de ses sujets des citoyens suisses à part entière.

J'acceptais de proposer ma médiation, moyennant quelques avantages commerciaux, d'ailleurs pour le bénéfice mutuel des marchands neuchâtelois et vaudois. »



Dans un autre cahier, on lit :

« Non seulement les bernois refusèrent la médiation, mais une campagne de presse ignoble m'accusa de vouloir livrer la Suisse « aux nègres et aux cannibales » une campagne d'autant plus efficace que les bourgeois alémaniques étaient déjà horrifiés par les récits glaçants de leurs compatriotes rescapés des atrocités commises en France non seulement aux Tuileries le 10 Août mais dans maintes autres villes et campagnes. Ajoutez le racisme benêt à la haine de classe et vous aurez de quoi faire bouger de paisibles helvètes.
Les Vaudois, et les génevois, eux n'avaient cure de ces fredaines, il est vrai colportées essentiellement en langue allemande. Et quand, en Septembre, les troupes confédérées déboulèrent le long du Lac de Neuchâtel sur Yverdon, qui venait de se soulever, ils vinrent me supplier d'intervenir.

4000 hommes seulement, mais vingt canons. Face à eux, ma petite légion, plus habituée à la « petite guerre » qu'aux combats de siège et quelques centaines de bourgeois et de paysans vaudois mi exaltés mi apeurés. Et pas le temps d'en faire de soldats.

Alors que je pensais devoir abandonner mes voisins à leur triste sort, une nouvelle stupéfiante me parvint : Sûre de son bon droit, la troupe alémanique était en train de franchir la Sauge et de s'installer entre le lac de Morat et celui de Neuchâtel.

J'avais appris au Nouveau-Monde que pareille occasion ne se présente pas deux fois, il ne me fallut pas dix minutes pour établir mon plan et donner mes ordres.  J'épargne la suite au lecteur, tant elle est connue de tous»



Rapport du Chef d'escadrons Delestraz, commandant de la cavalerie de Neuchâtel.


L'estafette du Colonel de Vattel me rejoins alors que je suis en mission entre Hauterive et le Maley pour recenser les possibilités de paturages pour nos chevaux. Dès que j'en prends connaissance, je la renvoie à la caserne avec ordre aux escadrons au complet de me rejoindre à Saint Blaise au plus vite, mais sans essoufler les chevaux, et en évitant de se faire voir depuis le lac.
Deux heures plus tard, la cavalerie au complet part au trot sur Thielle et prend le pont de Champion sans combats. De là, nous nous portons vivement sur la Sauge en bousculant quelques trainards et chariots de ravitaillement bernois et je prends les deux ponts que je verouille avec un escadron démonté chacun, tandis qu'un troisième escadron surveille le cours de la rivière, assez bas pour l'époque, afin d'éviter un éventuel passage à gué.
Je reste avec le quatrième en réserve dans le village d'Anet où j'attends les renforts promis.

Les premiers, deux compagnies de fusiliers noirs arrivent dès le début de la soirée avec le Colonel qui prend la direction des opérations , non sans m'avoir félicité pour avoir rempli ma mission avec précsion, célérité, et la perte de seulement deux chevaux et un cavalier. Le reste de l'armée nous rejoins petit à petit pendant la nuit

C'est avec soulagement que j'observe le sang froid avec lequel de Vattel place nos troupes le long de la Sauge et surtout l'habileté avec laquelle il installe nos canons de manière à prendre d'éventuels assaillants sous des tirs croisés.

Sur ses ordres, je vais me coucher à deux heures du matin, laissant un enseigne de permanence. La journée de demain pourrait être dure.


  • - Mémoires d'Adrien Rovray, plénipoteniaire Neuchatelois à Yverdon

Un cheval ferré entre en galopant dans la petite auberge que j'occupe au bord du Lac à l'entrée d'Yverdon. « Adrien ! Adrien ! Message Urgeeeennnnttt ! »
Son cheval épuisé se jette sur l'abreuvoir, et mon cousin Jospeh montre à les marches de l'escalier de bois qui mène à mes quartiers, modestes, au dessus de l'écurie.

  • Que se passe t il ?

  • Les Bernois fff fff , Quatre mille fff fff, vers Morat aaahhhhh... Ils viennent nous mater. Tiens.. Message Vattel dit il enfin hors de souffle.

Je décachète le rouleau portant le sceau du Roi de Prusse, Prince de Neuchâtel (ça me faisait sourire à l'époque). En termes clairs, Charles de Vattel me demande de convaincre la population yverdonaise AU COMPLET, de se rendre avec tous les chevaux et les charettes disponibles et en faisant la maximum de bruit et de poussière et de nous positionne rne masses sur la route entre Chabrey et Sallavaud. D'éviter le combat autant que possible mais de tout faire pour se montrer intimidant et menaçants jusque là. Il conclue : « tenez bon , on arrive ! »

J'avoue que l'heure qui suivit fut la plus angoissante de ma vie. Au conseil informel qui avait pris l'hotel de Ville, une poignée d'exaltés voulait en découdre, une majorité de lâches voulaient fuir sur Baudry où ils auraient encombrés les routes par lesquels les secours arrivaient.
Je dus montrer et remontrer la phrase « on arrive » pour les convaincre de suivre le plan dont je ne devinais qu'une partie : impressionner les bernois pour les forcer à se réorganiser et donc les ralentir. Imposer à terme une bataille en rase campagne ou leur artillerie serait moins décisive qu'en cas de siège.
Le pire moment fut celui où un boulanger reconnaissable à la farine qui imprégnait ses vêtements de travail montra le sceau en disant :
« on va quand même pas mourir pour le Roi de Prusse » ! une seconde plus tard un formidable éclat de rire secoua la salle, le temps que tout le monde se souvienne à quel point le règne du Prince était théorique.
- « Non on va vivre pour Vattel ! » tonna un forgeron colossal et rougeaud. Il se dirigea vers la porte, et chacun emboita son pas.




- Rapport du Lieutenant Nawika Gomez, des éclaireurs séminoles

Selon les ordres de l'estimé seigneur de Vattel, nous avons traversé la grande rivière à la pagaie, à la seule lumière des étoiles, sur de larges pirogues instables dont nous n’avons pas l'habitude. Malgré la brume, il n'a pas été difficile de maintenir le cap, les montagnes restant visibles au loin.

Nous avons pourtant réussi à ne pas nous faire repérer et à débarquer nos deux compagnies sur la plage située en aval de Cudrefin.
Comme nous en avions l'ordre, nous nous sommes approchés sans nous faire repérer du camp principal des ennemis, situé entre La Côte et Le Moulin, à égale distance des deux lacs (un demi mille) et de nos lignes situés à deux milles de part et d'autres.
Là, contrôlant la montre fabriquée à La Chaux de Fonds que m'avait offerte sa seigneurie, j'ai déclenché l'attaque à l’heure dite en poussant notre fameux cri de guerre. Au bout de quelques minutes, le canon a retenti en direction de l'amont. Je savais qu'il s'agissait d'un coup de semonce à blanc et j'ai sifflé le signal du départ. Je suis resté sur la plage tant que mes compagnons revenaient du camp. Quand j'ai embarqué, il en manquait 7. Fort heureusement, 3 d'entre eux furent retrouvés les jours suivants, s'étant cachés dans les bois, nous dûment en enterrer deux, et deux furent relâchés par les Bernois dès le surlendemain.

  • Extrait de la Plaidoirie du Général Von Bellig devant le conseil de guerre bernois.

Mes ordres étaient clairs : me porter en toute hâte mais groupé sur la ville d'Yverdon afin d'y rétablir l'ordre. Mes forces ne devaient pas se disperser pour éviter qu'un petit groupe ne soit pris à partie par la population.
J'étais bien conscient du risque d'interventio Neuchatelois, mais pensant, d'après nos espions leurs forces bien inférieures aux notres, je pensais que les précuations habituelles suffiraient à nous prévenir d'une mauvaise surprise.

D'après nos prévisions, l'imminence de notre aproche devait conduire les Yverdonais à se réfugier dans leurs murs, et une éventuelle intervention Neuchateloise pour les libérer aurait du se faire sur l'extrémité aval du lac.

Quand nous sommes arrivés entre Cudrefin et Chabrey, nous avons appris qu'un fort parti, soulevant forces clameurs et poussières se dirigeait vers nous. Il était déjà tard, trop tard pour engager le combat, aussi ai-je placé des piquets en sentinelle et ai-je ordonné d'établir le camp. Puisque l'ennemi nous offrait la bataille, je n'aurais pu décemment lui refuser ce plaisir.

En allant m'assurer de nos lignes de communication, je me suis aperçu avec une grande déception que les ponts sur la Sauge avaient été pris. Je n'observais qu'un faible parti de cavaliers, et la rivière était assez bien guéable en de nombreux endroits, aussi je pensais surtout à une diversion, et que, besoin se faisant sentir, je pourrais reprendre ces positons de vive force. C'est néanmoins encerclé que nous nous installâmes pour la nuit, afin de reprendre des forces avant la grande bataille que nous allions encore devoir mener dans ces alentours de Morat, déjà chargés de gloire.

Nous fûmes réveillés en pleine nuit par des cris atroces. Des sauvages nous attaquaient dans nos tentes à l'arme blanche, pendant que nos soldats surpris criaient « Trahison ». Au bout de quelques minutes, les cris se tairent pour laisser place à la cannonade. Même peu précise dans cette nuit obscurcie par le brouillard, elle augmenta la confusion de nos troupes, et je crains fort que nombre de nos soldats s'entetuèrent, peut être autant que ceux tués par l'ennemis.

Tous nous avions lu les œuvres de Mr de Vattel père, aussi, une telle sauvagerie si éloignée du droit de la guerre tel que celui ci le décrivait nous paraissait impensable de la part de son fils. C'est là ma seule défense.

 

Lettre d'Antoine de Jomini au général américain Henry Wager Halleck datée du 14 Novembre 1863.

Jomini_Antoine-Henri.jpgCher ami,

C'est avec une très grande gratitude que je vous remercie encore une fois du travail de traduction et édition de mes œuvres que vous avez entrepris malgré les très lourdes responsabilités qui vous incombent en ce moment singulier de l'Histoire de votre grande Nation Américaine.

Vous m'interrogez sur le fait que je passe sous silence le rôle de mon compatriote Charles-Adolphe de Vattel, héros de la Guerre d'Indépendance Américaine, puis remarquable chef militaire au service de la France et de la Suisse.

Comme vous le pressentez avec beaucoup de sagacité, le nom de Vattel reste dans mon pays chargé de significations politiques dont le poids dépasse de très loin l'importance de sa pensée militaire, d'ailleurs jamais formalisée en un quelconque texte dont j'aurais pu trouver la trace.

Pour moi, tout l'art de Vattel tient dans son coup d'oeil sur le champ de bataille, son audace, et sa capacité à penser hors des cadres établis. Voilà bien un modèle qui me semble difficile d'être théorisé et donné en exemple. Un mélange unique de qualités personnelles que nul enseignement ne saurait conférer à celui qui voudrait suivre son exemple sans posséder les mêmes vertus.

Prenez par exemple ce que je considère comme son chef d'oeuvre : la bataille de Morat. Jamais plus il n'utilisera les moyens qu'il y déploie. Il en utilisera d'autres, adapté à d'autre situations. Placé devant une force beaucoup plus importante que les siennes, il les prend à contrepied par la conjonction de pas moins de quatre « ruses de guerre » combinées entre elles.

 

Bataille de Morat.jpg

D'abord l'attaque surprise à revers sur ses lignes de communication par une marche forcée de sa cavalerie, opérée avec une précision chronométrique remarquable. Sitôt l'essentiel des bernois ayant franchi le Pont de Champion, les cavaliers de Deletraz refermaient la porte derrière eux.

Ensuite la sortie des citoyens d'Yverdon. Un acte de pure folie sur le plan militaire s'il n'était relié au reste. Deux mille hommes et femmes armés pour la plupart de bâtons, au mieux de fourches ou d'armes de chasses qui marchent sur quelques lieues en faisant le plus de bruit et de poussière possible. Un peloton de cavalerie légère en éclaireurs aurait éventé la ruse. Von Bellig, pensant avoir affaire au gros des troupes Neuchateloises ne prit pas cette précaution. Jamais il n'admit sa lourde responsabilité, mais c'est cette erreur, savamment provoquée par Vattel qui emporta la décision.
Bellig installa donc son camp au pire endroit, l'endroit même choisi par Vattel, coincé entre les deux lacs avec face à lui non plus deux milles civils mal armés mais dès le début de la soirée, le gros de l'armée Neuchâteloise composée pour l’essentiel de vétérans et équipé de canons.
Et derrière lui une rivière, certes guéable, mais défendue par des troupes suffisantes pour rendre une percée en ce sens périlleuse, surtout en tournant le dos au gros des forces ennemies.

La troisième ruse fut l'attaque nocturne des indiens. Avec une furtivité quasi surnaturelle, ces redoutables guerriers parvinrent, par le lac à s'insinue rà l'intérieur du camp bernois et à y causer une destruction largement amplifiée par la panique qui provoqua bien des blessures venant de tirs fratricides et l'éparpillement des unités de combat.

Enfin, en ayant réparti ses deux uniques compagnies d'artillerie de part et d'autres de l'adversaire, et en les faisant donner sitôt ses Séminoles rembarqués, Vattel acheva de détruire le moral de l'ennemi et surtout de son chef, incapable de reprendre ses esprits et de faire une appréciation objective de la situation. Un chef énergique aurait remarqué que ses pertes étaient encore somme toute minimes, aurait rallié et réorganisé ses troupes un unités constituées. Lac » le quart en arrière garde pour ralentir les forces venant d'Yverdon, et poussé vers Champion pour rétablir ses lignes de communication. J'ai acquis désormais la conviction qu'une telle manœuvre eut pu réussir. Le plan de Vattel n'a fonctionné que parce qu'il était totalement impensable pour un général bernois qui n'avait appris à se battre qu'en fonction de règles tirées notamment des ouvrages du père de son adversaire.

Dès lors, se pensant dans une situation désespérée, et alors qu'il recevait une proposition d'armistice parfaitement honorable, voire inespérée, il ne pouvait qu'accepter, jugez-en :

  • Neuchâtel ne demandait rien pour elle-même.
    - Le Pays de Vaud acceptait de continuer à verser une contribution annuelle, certes bien réduite, à Berne, en échange de son autonomie interne.
    - Les troupes capturées à Morat étaient immédiatement libérées avec leurs armes et leurs bagages.
    - Berne s'engageait à soumettre toute divergence à venir avec Lausanne à une commission composée de juristes originaires de Berne, Lausanne, Genève et Neuchâtel.

Il n'y a pour moi nul système, nul enseignement à proposer en exemple à partir de la carrière de Vattel. Sinon une seule leçon : un coup de génie est toujours possible, à condition que la Providence vienne au secours du génie. Il eut suffit du moindre grain de sable dans cette belle mécanique. Une sentinelle plus conscienscieuse. Un peloton de hussards plus zélé. Un espion mieux placé et le plan était éventé, et l'Histoire de la Suisse modifiée, du moins pour quelques mois. Car selon moi, si la Suisse est ce qu'elle est aujourd'hui en partie en conséquence de cette bataille, les forces internationales qui influèrent les événements qui ont suivi auraient probablement engendré une fin similaire.

J'espère avoir répondu à votre question et, vous souhaitant que le sort des armes favorisent vos entreprises, je vous prie d'agréer, cher ami, l'expression de mes salutations distinguées.



Signé

Général Antoine de Jomini.

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