En l'an de grâce 1175, au pied des sombres replis du massif de la Sainte-Baume, naquit un enfant dont les origines, voilées par les ombres, suscitèrent maintes rumeurs et conjectures. Certains disaient qu'il était fils de quelque châtelaine égarée, d'autres murmuraient qu'il était fruit d'une union défendue entre un noble chevalier et une belle mais humble bergère. Cet enfant grandit parmi les marnes et les roches blanches de Provence, son regard sombre emplit d'une étrange détermination. On le nomma Rainier, mais ses pairs, frappés par son port fier et son courage naissant, le désignèrent bientôt comme "Rainier del Taur Blanc".
Rainier, devenu homme, était de stature haute et solide, le front large comme les falaises du Garlaban, ses cheveux noirs comme l'ébène, souvent en désordre sous le poids des batailles et des vents. Ses yeux, perçants et d’un gris acier, semblaient sonder l'âme de quiconque croisait son regard. Il portait une barbe courte, entretenue avec soin, et ses mains calleuses trahissaient des années d'entraînement à la lance et à l'épée.
L'on conte qu'en l'an 1196, Rainier s'illustra lors des guerres baussenques, ces luttes fratricides qui ensanglantèrent la Provence lorsque la succession de la maison de Forcalquier fut disputée. Sous la bannière d'un seigneur qu'il ne servit qu'un temps, il se jeta dans les mêlées, frappant avec la force d'un taureau furieux. C'est là, disent les troubadours, qu'il gagna son surnom et inspira son blason : "de sable au rencontre de taureau d’argent, allumé de gueules", le tout marqué de mystère comme son propre destin.
En récompense de ses exploits, un seigneur de haute lignée le fit chevalier sur un tertre sacré, baigné par les lumières mourantes du couchant. L'épée effleura son épaule, et son cœur brûla d’un serment : errer en quête de justice, honneur et aventure. Il ne prit point d’épouse ni ne revendiqua de terre. Son seul fief devint la route, et son foyer, l’horizon.
Vêtu d’une cotte d’armes noire bordée d’argent, Rainier portait toujours un manteau sombre, usé par les pluies et les combats. Son casque, orné de deux cornes de taureau gravées, était une marque qui imposait respect et crainte. On dit que dans ses voyages, il ne cherchait pas la richesse mais l'accomplissement de quelque vœu secret, connu de lui seul. Ses gestes étaient empreints d’une étrange gravité, et ses paroles, souvent rares, vibraient de sagesse et de défi.
Ainsi allait Rainier del Taur Blanc, arpenteur des chemins perdus, protecteur des faibles, et fléau des brigands. Ses exploits sont chantés encore sous les voûtes des masures et des châteaux, car nul autre ne portait si fièrement ce blason sombre où brillait la lumière ardente des yeux d’un taureau en colère.