Figure énigmatique et fascinante des récits du Bas Languedoc, **Livrade du Pic Saint-Loup** reste à ce jour un exemple rare et documenté des complexités liées aux perceptions médiévales du genre. Née en 1178 dans un village proche du Pic Saint-Loup, au nord de Montpellier, elle aurait, selon les chroniques, défié les conventions sociales de son époque en intégrant les forces de **Roncelin de Marseille** sous une identité masculine.
**Contexte historique et vie personnelle**
Livrade serait issue d'une famille modeste de cultivateurs. Très tôt, elle se distingue par une constitution physique hors normes : une musculature développée et une pilosité faciale notable, rapportée par les sources comme une "moustache fournie qui rivalisait avec celle des hommes". Ces caractéristiques, interprétées aujourd’hui comme les signes d’un dérèglement hormonal lié à une surproduction de testostérone, ont certainement façonné sa place dans la société.
D'après les récits, Livrade aurait adopté des habits masculins à l'adolescence, une décision probablement motivée autant par sa différence physique que par les opportunités qu'elle y voyait. Loin d'être perçue comme une anomalie, cette pratique n'était pas exceptionnelle au Moyen Âge, où les rôles de genre pouvaient être flous dans certains contextes ruraux.
#### **Au service de Roncelin de Marseille**
En 1200, Livrade rejoignit, avec aux côtés d’autres vassaux du Comte de Monpellier les forces du Vicomte Roncelin de Marseille, ancien abbé de Saint-Victor, tiré de son couvent par les Marseillais révoltés contre le Roi d’Aragon. Sous le nom de "Livrat", elle participa activement à plusieurs campagnes militaires, se faisant remarquer pour son habileté au combat et sa force exceptionnelle. Une anecdote rapportée par un chroniqueur anonyme évoque une bataille près de Trets, où elle aurait renversé un assaillant en armure d’un seul coup.
Son secret resta longtemps dissimulé, grâce à une discipline stricte et une adaptation parfaite aux us et coutumes des milieux masculins. Cependant, selon une chronique de la commanderie de Saint-Gilles, son identité fut révélée par un moine lors d’un rituel de confession, ce qui provoqua un scandale mineur. Étonnamment, Roncelin de Marseille aurait protégé Livrade, affirmant qu’"elle combattait avec la foi d’un homme et l’âme d’un saint".
#### **Une analyse moderne : science et société médiévale**
Les récits concernant Livrade intriguent les historiens contemporains, notamment en raison des détails physiologiques mentionnés dans les textes. Plusieurs chercheurs émettent l'hypothèse qu'elle souffrait d’un syndrome tel que l’**hyperplasie congénitale des surrénales** ou une autre condition entraînant une surproduction d’androgènes. Cela expliquerait non seulement sa pilosité faciale, mais aussi son développement musculaire inhabituel.
Cependant, il serait anachronique et réducteur de réduire Livrade à sa condition médicale. Dans le contexte médiéval, son identité n’était pas seulement biologique mais profondément liée à son rôle social et spirituel. Ses exploits militaires et sa loyauté envers ses suzerains font d’elle une figure respectée et, dans une certaine mesure, protégée par les normes flexibles du genre dans les cercles religieux et guerriers de l’époque.
#### **Héritage et interprétations**
Livrade mourut en 1224, probablement des suites de blessures reçues au combat. Sa mémoire survit dans les archives des Hospitaliers et dans des légendes locales autour du Pic Saint-Loup, où elle est parfois décrite comme une sorte de géante héroïque.
Son histoire interroge sur les perceptions médiévales du genre et les limites entre nature et rôle social. Aujourd’hui, Livrade est reconnue comme un exemple unique de la diversité humaine dans une période où ces notions étaient rarement discutées, mais où elles existaient malgré tout sous des formes inattendues.