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Chapitre 1.18 : Mars 1200 – Les prémices du printemps


Les premières pluies de mars martèlent les collines, transformant chemins et sentiers en bourbiers impraticables. Bien que les escarmouches se fassent rares, je sais qu’Alphonse de Barcelone n’attend qu’une accalmie pour reprendre ses attaques. Mais cette pluie, en ralentissant ses cavaliers comme les nôtres, nous offre un répit.

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C’est au matin, trempé jusqu’aux os après une inspection des postes avancés, que je retrouve Guilhem d’Ussel dans ma tente. Son visage est marqué par la fatigue, mais ses yeux brillent d’une étincelle d’urgence.
— Bertrand de Comminges approche, m’annonça-t-il sans détour. Plusieurs centaines d'hommes, bien armés. Ils ont quitté Monpellier, avec le Comte, il y a trois jours. Ils seront ici avant la mi-mars.
Cette nouvelle fait naître en moi un mélange de soulagement et d’appréhension. Le soutien de Toulouse est crucial, mais il signifie également que nous devions préparer Marseille pour accueillir une telle armée.
— Des centaines, reprend Pierre de Villiers en s’appuyant contre le poteau central de la tente, avec un sourire qu’il ne cherche pas à cacher. Avec ça, Alphonse risque de réfléchir à deux fois avant de s’aventurer davantage.
Je hoche la tête, mais je ne partage pas son optimisme.
— Guilhem, assurons-nous que les routes entre ici et Avignon soient sécurisées. Doublez les patrouilles. Pierre, renforcez les milices et vérifiez avec Arnulphe et le Viguier que nous avons assez de vivres pour nourrir ces hommes.
Tous deux acquiescent. Il n’y a pas de temps à perdre.

Quelques jours plus tard, alors que les averses s’apaisent et que les rues de Marseille retrouvent un semblant de vie, une nouvelle inattendue vient renforcer notre moral. Rainier, notre évêque, a arrangé une réunion avec les délégués de Montpellier et de Forcalquier, dans le but de sceller leur soutien à notre cause. Ce rassemblement, combiné au Mardi Gras, devint rapidement une fête improvisée sur les quais.
Ensemble, Guilhem pour Toulouse, Nicolas d'Assas, envoyé du Comte de Monpellier et Arnaud de la Roche, délégué du Comte de Forcalquier. marquent aux yeux de tous l'unité de nos alliés. Des serments sont échangés en public et bénis par Rainier. Les bourgeois, marchands et armateurs, en sont rassurés et la foule prompte à la liesse en ce jour de carnaval semble heureuse.
J’observe la scène depuis le perron de la Maison Commune, les bras croisés. Les torches éclairent les visages souriants des bourgeois, marchands et soldats. Des tables, dressées à la hâte, débordent de poissons grillés, de fromages et de vin. Rainier, fidèle à lui-même, prononce des paroles solennelles, bénissant notre alliance naissante.
C’est à ce moment qu’Adalasie fait son entrée. Je la vois d’abord au loin, sa robe bleu profond se distinguant dans la foule. Elle avance avec une assurance qui me surprend. Elle n’est décidément plus la jeune femme hésitante que j’ai connue, ni celle qui fuyait mes regards depuis des années.
Elle échange quelques mots avec Nicolas d’Assas, avant de croiser mon regard. Elle s’approche sans hâte, et quand elle est près de moi, elle parle d’une voix douce, mais ferme.
— Pourquoi restez-vous là, à l’écart, Roncelin ?
— Les réjouissances n’ont jamais été mon fort, dis-je en esquissant un sourire.
— Ce soir, elles devraient l’être. Venez, ajoute-t-elle en tendant sa main.
Je reste figé un instant. Les regards des autres convergent vers nous, et je déteste être au centre de l’attention. Mais son insistance est désarmante.
— Dansez avec moi, dit-elle.
Il n’y avait pas de place pour le refus. Je prends sa main, et ensemble, nous nous avançons au centre de la place.

Guilhem prend sa vielle, d'autres immédiatement l'accompagnent. La musique s’élève, simple et mélodieuse, et nous commençons à danser. Nos mouvements sont hésitants au début, maladroits même. Mais peu à peu, je retrouve un rythme que je croyais oublié. Le murmure des spectateurs s’éteint, ne laissant que la musique et ce moment partagé entre nous.
— Cela fait longtemps, murmure-t-elle en levant les yeux vers moi.
— Trop longtemps, dis-je, presque à voix basse.
Il y a dans ce moment quelque chose d’apaisant, mais aussi de terriblement fragile. Je sens les regards autour de nous, mais pour une fois, ils ne me dérangent pas. Adalasie sourit, et je réalise à quel point ce sourire m’avait manqué.
Quand la musique s’arrête, des applaudissements éclatent. Je relâche doucement sa main, un peu troublé. La musique reprend et d'autres convives, encouragé, se joignent à la danse.

Plus tard, alors que la fête se poursuit et que les discussions autour des tables s’éternisent, je me retrouve seul un instant, observant les eaux noires du port reflétant les lanternes de la fête. Ce soir, malgré les inquiétudes qui pèsent sur mes épaules, je ressent une étrange sérénité.
Adalasie me rejoint, silencieuse. Nous restons côte à côte, regardant les flots.
— Merci, dis-je simplement.
— De quoi ? demanda-t-elle, feignant l’innocence.
— Pour ce que vous avez fait ce soir. Cela… Cela m’a renforcé dans les yeux des Marseillais et aussi... à mes propres yeux.
Elle ne répond pas, mais son sourire en dit long. Nos mains se trouvent, et nous partons au pas, sans lâcher nos mains, vers le château Babon. Seul Arnulphe, toujours précautionneux, depuis mon enlèvement, nous a vu nous éloigner. Il nous suit discrètement, la main sur l'épée jusqu'au moment où il nous estime en sécurité.

FIN DE LA PREMIERE PARTIE

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