UA-111954829-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Chapitre 3.5 : Un mariage de convenances - (1205)

Le froid mordant de l'hiver n'a pas ralenti les affaires à Marseille. Les marchands se pressent toujours sur les quais, apportant des nouvelles des lointaines contrées. Les navires déchargent épices, étoffes et rumeurs, et les affaires se cr305az.jpgoncluent d'un geste assuré malgré l'air glacé qui s'insinue jusque sous les manteaux de laine.

Ce matin, je rencontre Audiarz pour la première fois. Elle est la fille d'un riche marchand, et sa réputation la précède. On parle d’elle comme d’une femme d’une rare beauté, mais aussi d’un esprit vif et acéré, capable de tenir tête aux plus habiles négociateurs de la ville.

Lorsque je la vois, je comprends immédiatement pourquoi tant de regards se tournent sur son passage. Elle est grande pour une femme, élancée sans être frêle, avec une prestance qui trahit une éducation soignée et une conscience aiguë de son pouvoir de séduction. Son visage est fin, aux pommettes hautes, encadré par une chevelure d'un brun profond, dont les boucles souples échappent çà et là à la coiffe qui tente de les dompter. Ses yeux, d'un vert changeant aux reflets dorés, brillent d'intelligence, mais aussi d'une lueur franchement provocante. Elle a cette assurance rare des femmes qui savent qu'elles ne sont pas ordinaires.

"Seigneur Roncelin, c'est un plaisir de faire votre connaissance," dit-elle avec un sourire qui ne dévoile qu'à peine ses dents blanches et régulières.

Sa voix est chaude, légèrement voilée, et je devine qu'elle sait jouer des silences comme des mots pour capter l'attention de ses interlocuteurs. Ses mains, longues et délicates, effleurent distraitement le tissu de son manteau de velours pourpre, rehaussé d’un galon d’or fin, signe discret de la richesse de sa famille.

Je sens immédiatement que cette femme est un feu sous la glace, une tempête sous un calme apparent. Et, pour la première fois depuis longtemps, une pensée que je croyais avoir domptée me traverse l'esprit : celle du désir.



-____

Les jours commencent à rallonger, mais l'air reste frais. Audiarz et moi avons échangé plusieurs fois. Elle a une manière subtile mais assurée de diriger la conversation. Aujourd'hui, elle m'a proposé un partenariat commercial.

"Je pense que nous pourrions être mutuellement bénéfiques," dit-elle en me regardant droit dans les yeux. "Mais je souhaite que nous fassions cela correctement. Une alliance officielle serait préférable."

Je comprends immédiatement ce qu'elle veut dire. Un mariage. L'idée est loin de me déplaire elle ne manque pas de charmes, et je me rends compte que cela pourrait être avantageux, tant sur le plan personnel que commercial.

___

Le vent du printemps caresse les collines autour de l'abbaye de Saint-Pons de Gémenos. Les travaux de construction avancent lentement, comme si les pierres elles-mêmes hésitaient à trouver leur place. Aujourd'hui, je viens visiter Adalasie. L'air est frais, empli du parfum de la chaux fraîchement mélangée. Le chemin de terre est encore boueux des dernières pluies.

"Roncelin, quelle surprise de te voir ici," dit Gersande Borély, maintenant abbesse, avec un sourire. "Les pierres de notre abbaye avancent, mais ton cœur semble toujours prisonnier de l'hiver."

Je hoche la tête en silence. Adalasie m'attend dans une petite salle austère. Elle a changé. Son visage, marqué par les épreuves, a trouvé une sorte de sérénité que je peine à comprendre. Nous échangeons des mots simples, mais chargés de souvenirs.

"Roncelin," dit-elle doucement, "le passé est une pierre que l'on ne peut porter éternellement. Il faut apprendre à la déposer."

Ses paroles résonnent en moi bien après notre rencontre.

-____

Le marché de Marseille est en effervescence. Les marchands crient leurs marchandises, les nouvelles circulent rapidement. Une brise marine apporte l'odeur du sel et des épices exotiques. Les nouvelles de Philippe de Souabe couronné roi des Romains se propagent parmi les marchands. Le monde semble se transformer à une vitesse vertigineuse.

Je croise Arnaud, un vieux marchand désormais réconcilié avec qui j'ai souvent échangé depuis. "Roncelin, as-tu entendu parler de la révolte à Constantinople ?" me demande-t-il, les yeux pétillants d'excitation. "Baudouin Ier est captif, et les Croisés ne savent plus où donner de la tête."

Je soupire. "Les guerres et les révoltes ne cessent jamais, Arnaud. Nous ne sommes que des pions dans un jeu bien plus grand."

-____

Le mariage avec Audiarz est fixé. L'évêque Rainier, toujours aussi imposant, me regarde avec un mélange de bienveillance et de fermeté.

"Roncelin, ce mariage est une alliance, un ancrage dans un monde instable, un homme comme vous doit pouvoir avoir à ses côtés une femme comme elle pour l'aider à s'éloigner du péché." dit-il en posant une main lourde sur mon épaule.

Le jour du mariage, le ciel est clair, mais mon esprit est en tumulte. Audiarz, vêtue de sa robe d'un blanc immaculé, avance vers moi avec grâce. Sa beauté est éclatante, mais son sourire cache une ambition que je devine sans peine.

"Roncelin," murmure-t-elle en prenant ma main, "nous avons chacun nos raisons. Mais ensemble, nous pouvons construire quelque chose de durable."

Les mots sont prononcés, les alliances échangées. Mais en moi, le doute persiste. Pourtant, lorsque nous partageons notre première nuit ensemble, une compréhension mutuelle se dévoile. Audiarz, sous ses airs réservés, révèle une passion et une complicité inattendues qui dissipent mes dernières hésitations.

-____

Les jours rallongent, et la chaleur estivale s'installe. Les conversations dans les rues de Marseille tournent autour des événements en Orient. Guillaume de Champlitte est devenu duc d'Athènes, une nouvelle qui suscite autant d'admiration que de jalousie.

Dans notre demeure, Audiarz et moi apprenons à coexister. Ses ambitions se dévoilent un peu plus chaque jour. "Roncelin, nous devons étendre nos relations commerciales," me dit-elle avec détermination. "Le monde change, et nous devons être prêts."

Je l'écoute, partagé entre admiration et scepticisme. Audiarz est une force de la nature, et je sens que sa détermination pourrait bien nous porter loin.




En ce début d'été, je revois Élie. Le Syriaque revient de Vézelay. Déçu, il m’annonce qu’il y a trouvé de nombreux documents sur le culte local de Marie-Madeleine, mais qu’il a acquis la conviction qu’il ne s’agit que d’une tradition récente, remontant à moins de deux siècles. Il a d’ailleurs eu maille à partir avec les moines de l’abbaye, qui refusaient d’entendre ses conclusions. Il a fini par achever ses recherches sans plus partager ses découvertes avec eux, les amadouant en traduisant pour eux certains textes de l’araméen au latin, qu’aucun d’entre eux n’était capable de lire.

« Ils m’ont même fait traduire des passages de votre ami Ibn Rushd, qu’ils appellent Averroès, car aucun d’eux ne sait l’arabe ! » conclut-il avec son rire étrange, un mélange de hoquets et de respirations sifflantes.

Je repense au vieux sage sarrasin, mort à Marrakech quelques mois seulement après avoir aidé Guilhem et Robin à nous délivrer, Hugues des Baux et moi. Il n’aura jamais pu revoir sa chère Cordoue, dont il avait été ignominieusement chassé par des fanatiques obtus. Je n’imagine rien de pire que d’être exilé de Marseille, cette ville où je suis né et dont l’air a une saveur unique au monde. Je remercie Dieu de m’avoir permis d’y demeurer, même si j’ai dû céder sur bien d’autres exigences de mes ennemis.


La chaleur de l'été est écrasante. Les nuits sont plus douces, et Audiarz et moi passons de longs moments, après nos ébats conjugaux torrides, à discuter sous les étoiles. Un soir, elle me prend la main et murmure : "Roncelin, je sais que tu as des doutes, mais nous sommes faits pour réussir ensemble."

Cette nuit-là, notre complicité atteint un nouveau sommet. Notre entente charnelle, découverte lors de notre première nuit ensemble, se confirme. Je réalise que cette union, bien que stratégique, est également source de plaisir et de satisfaction. Et que je n'ai plus eu la moindre tentation d'une autre qu'elle.

-____

L'été est à son apogée. Les récoltes promettent d'être abondantes, et l'air est chargé de l'odeur des champs mûrs. La vie à Marseille suit son cours, mais les tensions politiques sont palpables.

Un soir, alors que nous dînons, Audiarz me parle des rumeurs concernant la cour de Philippe de Souabe. "Il paraît qu'il cherche à consolider son pouvoir en Provence," dit-elle, les yeux brillants.

"Et nous, que devons-nous faire ?" lui demandai-je, intrigué.

"Être prêts," répond-elle avec un sourire énigmatique.

pour nous préparer à ces changements ?" Je demande, intrigué.

Audiarz sourit, son esprit vif captant chaque nuance de la conversation. "Nous devons renforcer nos alliances, Roncelin. Chaque opportunité doit être saisie avec discernement."

Je hoche la tête, impressionné par sa perspicacité.

-____

L'été s'efface doucement, laissant place à la douceur de l'automne. Les vendanges ont commencé, et l'effervescence est palpable dans les vignobles environnants. Audiarz et moi passons de plus en plus de temps ensemble, discutant des affaires, des projets, et de l'avenir.

Un soir, alors que nous contemplons le coucher de soleil depuis notre balcon, elle me regarde avec une intensité particulière. "Roncelin, nous avons un potentiel immense. Ensemble, nous pouvons accomplir de grandes choses."

Je lui souris, reconnaissant la vérité de ses paroles. Audiarz est devenue une alliée précieuse, une compagne dont la présence m'apporte force et clarté. Notre mariage, au départ une alliance stratégique, s'est transformé en une union profonde et enrichissante.

-____

Les premières feuilles tombent, et l'air se rafraîchit. Marseille est encore animée, mais l'ambiance est plus posée. Les discussions sur les quais évoquent la victoire à Andrinople et les nouvelles alliances en Orient.

Je retrouve Arnaud sur le port. "Les temps changent, Roncelin," dit-il en regardant les navires qui partent vers des contrées lointaines. "Mais nous devons rester ancrés dans notre réalité."

Je hoche la tête. Les saisons passent, les événements se succèdent, mais une chose est sûre : le monde ne cesse de tourner, et nous devons trouver notre place dans ce tourbillon incessant.

-____

L'hiver s'installe, apportant avec lui une certaine mélancolie. La maison est chaude, grâce au feu qui crépite dans la cheminée. Audiarz et moi partageons des moments de calme, loin du tumulte extérieur.

"Roncelin," me dit-elle un soir, en regardant les flammes, "nous avons traversé beaucoup de choses cette année. Mais je crois que nous sommes prêts pour ce qui vient."

Je la regarde, reconnaissant sa force et sa détermination. "Oui, Audiarz. Ensemble, nous pourrons affronter l'avenir."

Et ainsi, l'année se termine, avec l'espoir d'un nouveau départ et la promesse de jours meilleurs à venir.

Écrire un commentaire

Optionnel