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Prologue : L'adoubement de Durand Moulins

Prologue



Un vent glacial et humide tombait du Lozère. Durand Moulins portait sur ses larges épaules son lourd fardeau de bois. Il progressait sans hâte vers le moulin à eau de Chamborigaud où l'attendait sa mère, son frère Jean et ses sœurs Ombeline et Marie. La fumée qui s'élevait ne le surprenait pas. L'hiver avait été froid et il fallait chauffer au bois vert depuis que les provisions de bûches sèches étaient épuisées.
Durand avait perdu son père, que tout le monde appelait simplement Moulins, deux ans auparavant, d'un stupide accident alors qu'il réparait la grande roue à aubes qu'activait le Luech. Marguerite, la mère, ne l'avait guère pleuré. L'homme alcoolique et violent la battait comme il battait ses enfants, parfois jusqu'au sang. Il dépensait en vin une grande partie des revenus que le moulin lui laissait, une fois payés les droits seigneuriaux. Marguerite avait repris l'affaire, avec l'aide de Durand.
Il devait avoir 17 ans d'après le curé qui se fiait à son registre de baptème. Mais il en paraissait 20. Haut de 6 pieds, son front carré sempiternellement plissé d'un air sérieux surmontait un regard gris comme un ciel d'orage aux yeux allongés, presque bridés comme un Magyar. Ses mains immenses et calleuses, déjà usées par les lourds travaux étaient celles d'un homme, plus d'un enfant.
Pourtant, à mesure qu'il approchait de chez lui il commença à ressentir un malaise. Trop de fumée. Le vent aurait dû la disperser. Malgré la fatigue ses sens se mirent en alerte. A temps pour entendre un bruit de sabots sous le vent. Prudemment, il déposa le bois, prit sa cognée en mains et se détourna du sentier. Il lui fallait faire un détour pour éviter que le vent ne porte son bruit et ses odeurs vers les bords du Luech où, il en était sûr à présent, il se passait quelque chose.
Il était chez lui dans cette vallée. Chaque pierre, chaque touffe de lentisque était son alliée. Il ne lui fallut que quelques secondes pour déboucher sur un rocher d'où il voyait sans être vu.
Ils étaient trois..
Un grand type à cheval semblait donner des ordres, une épée à la main. Les deux autres chargeait deux mules des sacs de farine qu'il avait patiemment moulue et tamisée ces derniers jours. Sa mère et sa grande sœur Ombeline serraient les petits dans leur giron.
Des voleurs, c'était clair.
Sire Godefroi allait être furieux, mais il était bien trop tard pour aller le prévenir. Mieux valait d'abord s'assurer que rien de pire n'arriverait.
Il s'était approché, tapi derrière un chêne vert, sous le vent, quand les deux larrons serrèrent les sangles sur les mules. Mais avant que le soulagement ne délivre sa respiration oppressée, ils se tournèrent vers Ombeline avec des yeux de convoitise et interrogèrent leur chef du regard. Le cavalier prit un air dégoûté et se détourna en haussant les épaules.
Tout occupés à arracher le bliaud teint de guède bleue de la jeune fille, ils ne l'entendirent pas arriver. Durand découpa les vertèbres du premier d'un coup de hache tout en jetant l'autre de coté d'une violente bourrade. Revenant à la charge, les yeux injectés de colère, le voleur sortit un poignard long comme le bras. Il était déjà trop près et c'est d'un coup de manche en pleine face que Durand l’assomma. Déjà le cavalier fondait sur lui, l'épée levée. Le jeune Moulins ne savait pas se battre, encore moins contre un cavalier expérimenté. Il avait agi sans réfléchir. Par instinct. Par peur. Par rage. Son instinct le sauva encore quand il plongea sous les sabots du cheval. Seul un paturon percuta son épaule, lui déboîtant le bras gauche.

Son cri de douleur se mêla au hennissement du cheval qui s'abattait et au juron du cavalier jeté à terre.
Malgré sa broigne et sa taille imposante, le cavalier était vif et il se remit sur pied en un instant. Mais dans le même instant, La mère Moulins, Ombeline et le petit Jean s'étaient jetés sur lui pendant que Marie chipait l'épée que la chute avait projetée et courait au loin. Alors que le routier les rejetait rudement, il se trouva face à face avec Durand. Il mettait la main au fourreau de son poignard quand il reçut le galet pile entre les deux yeux. La pierre lancée par le jeune homme fracassa le nasal de son casque et l’assomma d'un seul coup. Aidé de ses sœurs, il attacha solidement les deux prisonniers, pendant que le petit frère filait à la chapelle de Chamborigaud demander au curé de sonner le tocsin.

Moins de deux heures plus tard, Godefroi, le Seigneur de Brésis déboulait au grand galop, entouré d'une demi douzaine d'écuyers.
C'était un homme puissant aux cheveux grisonnants. Son regard s'était éteint un triste jour d'automne, quand un moine de passage lui avait apporté la nouvelle du décès de son fils aîné. Loin, là bas, en Terre Sainte. Il était mort en héros chrétien. Tout père aurait été fier d'un tel fils. Fier il l'était. Mais inconsolable aussi. Les troubadours, il les recevait courtoisement et leur donnait gîte et couvert. Mais il refusait de les entendre, même et surtout ceux qui tentaient de composer des odes au fils héroïque.

Ses colères étaient froides et terribles. Comme celle qui le prenait maintenant devant le soldat blessé qui s'éveillait sous le seau d'eau glacé jeté par ses serviteurs.
Il posait ses questions d'une voix monocorde et glacée. Plus impressionnant dans cette rage contenue qu'un lion rugissant.
L'homme était un routier. Naguère employé par le Roi d'Angleterre dans la lointaine Aquitaine, il s'était retrouvé sans engagements quand celui ci s'était réconcilié avec ses fils. Avec deux compères, il s'adonnait depuis au brigandage en espérant retrouver un emploi de chevalier. Il osa même demander une place au château pour lui et son homme survivant.

  • Vous vous êtes fait rosser à trois par le fils de mon meunier et tu oses te prétendre chevalier  et porter éperons ? Donne moi tes éperons.
    Il se tourna vers le jeune homme dont l'épaule venait juste d'être rudement remise en place par le prètre.

  • Toi, Durand, mets genou à terre. Prends ces éperons. Pose les devant toi. Prends cette épée, pose la comme une Croix et jure dessus après moi.


Tu protègeras l'Église.... Dis : je protégerai l'Eglise

 

Duand était pétrifié, il ne comprenait pas ce qui était en train de se jouer.

 

Je protégerai l'Eglise, finit il par bredouiller.

 

Tu défendras tous les faibles.

 

Je défendrai les faibles

 

Tu ne fuiras jamais devant l'ennemi...

 

Mécaniquement il répétait à présent ces paroles qui n'avaient pour lui guère de sens. Quelques minutes avant, il n'était que le fils orphelin du meunier, trop jeune pour être maître meunier et qui faisait tourner le Moulins sous la direction de sa mère. Il ajoutait ses bras, déjà ceux d'un homme, au savoir faire de la veuve Moulins.

 

Quand Godefroi termina par :

 

- Tu seras toujours le champion du droit et du bien contre l'injustice et le mal.

 

Il répéta :

- Je serai toujours le champion du droit et du bien contre l'injustice et le mal.



  • Relève toi, mon garçon. Que tous ici honorent à présent le chevalier Bondurand. Car il est Noble et Fort et c'est ainsi désormais qu'il sera appelé. Dorénavant, cet homme prendra ta place de meunier en tant que serf. Et toi, tu prendras place auprès de mon fils et moi, comme homme lige et fidèle chevalier. Je te fais don de tous les revenus du Moulin que nous avons bâti avec ton père. A toi d'en tirer parti pour garder ton rang de chevalier. Tu as déjà un cheval, une épée et un serviteur : ceux de cet homme indigne de demeurer chevalier. Tu viendras en mon manoir aussi souvent que possible t'exercer dans le métier des armes et m'aidera à faire régner la Paix de Concoules à Bessèges, dans les vallées du Luech et de ses tributaires, sur les terres de ma famille.

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