Né en 1168, Joan de Mount-Faucoun a épousé en 1191 la belle Alix des Tours, fille orpheline unique d'un puissant seigneur de la région de Vaqueyras dont il a relevé les armes d'argent à la tour accolée de deux lions de sable, avec les armes parlantes héritées de son père : de gueules au faucon sur un mont d'argent. Sur ses terres, des deux cotés du Rhône, ses gens cultivent prinipalement la vigne et produisent un vin savoureux qu'ils vendent par les bateliers qui l'emportent vers Marseille.
Joan se rend souvent dans le grand Port. Parfois pour vendre son vin, souvent pour rencontrer d'autres troubadours.
C'est là qu'il entend parler des joutes arthuriennes organisées par la troupe d'Enoch Scott dans la plaine de Mazargues. Il s'y rend pour apprendre de nouvelles chansons et s'initier à cette « matière de Bretagne » plus populaire dans le Nord de la France qu'en Languedoc mais qui lui paraît riche de promesses poétiques.
Traversant l'Huveaune au Pont de Sainte-Marguerite, il parvient au pré du Coin-Joli ou s'entraîne la petite troupe qui s'apostrophe et s'encourage en langue d'oïl.
Ainsi les voit-il courir sur de longues distance portant tout leur harnois et leurs armes, puis sauter ainsi, sans reprendre haleine, sur le dos d’un cheval et partir au galop.
D'autres frappent en hauteur avec une hache sur d'énormes troncs d'arbres pour s’entraîner à lever les bras.
Le jeune Kylian s'exerce à réaliser le saubresaut tout équipé, tel un jongleur en armure.
Paul de Lindsay passe d'un coté à l'autre du cheval, les mains sur la selle.
Armanieu d'Albret, court de taille, mais carré comme une brique escalade une échelle de corde à la seule force de ses bras, comme s'il ne portait ni broigne, ni bouclier, ni forte épée e bandoulière. Il monte ainsi jusqu'au clocher de l'Eglise.
Deux colosses, l'un noir comme l'ébène, l'autre blanc comme le lait surmonté d'une chevelure rousse luttent torse nu. Owen O'Kelly et Ntchororo sont de force égale et aucun ne plie.
A part de l’entraînement, Herrmann von Nuerburg accorde son luth en fredonnant quelques notes du Parzifal de son ami Wolfram d'Eisenbach, parti rejoindre la Mesnie de Guilhem d'Ussel au sein des troupes toulousaines qui se rassemblent à Saint-Gilles. C'est vers lui que se dirige Joan.
Sans mot dire, il s'assied non loin et sort de sa besace une Citole. Herrman s'interromp alors et l'encourage d'un sourire et d'un mouvement de tête.
Joan entonne alors un chant de son ami Raimbaut d'Aurenja, seingner d'Aurenga e de Corteson e de gran ren d'autrez castels
Amors, cum er? Que faray?
Morrai frescx, joves e sas,d'enfance
Enaissi dins vostras mas?
Oc! Murir, si·m pliu per vos!
Ades m'i pleu pauc mos pros;
E totz temps, tan cum ieu viva,
Cum que m'en an, m'i pliuray.
Per qu'ieu fauc avol essai
Pos aissi vos suy humas;
Qu'en feyratz s'ie·us fos trefas,
Mals e felhs ez ergulhos?
Fora·n plus aventuros –
Oc! So·m par, pos ar esquiva
M'es, quar ves vos franc cor ay.
Ades mi datz plus d'esmay
On mielhs suy ves vos sertas.
E fauc hi ben que vilas,
Quar per mal suy amoros.
Mas no say esser anctos
Vas vos, qu'ades recaliva
Mos leus cors on piegz m'en vay
Après quelques notes, Herrman plaque quelques accords et finit par trouver la ligne mélodique pour accompagner le troubadour. Petit à petit, les autres cessent leurs exercices harassants et viennent écouter le duo.
Joan restera quelque temps avec les aventuriers, il apprendra bien des chansons de leurs pays du Nord qu'il traduira en Provençal, traductions hélas aujourd'hui perdues.
NB. La citole, maurache, ou guitare sarrazine est un instrument à cordes pincées archaïque en usage jusqu'au XIVe siècle, ancêtre du cistre. Elle est issue d'instruments du Moyen-Orient sans doute introduits dans la péninsule Ibérique entre les VIIIe et XVe siècles par les Arabo-berbères d'Al-Andalus. Elle est devenue par la suite un instrument médiéval européen à part entière.