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Chapitre 1.13 : Octobre 1198 - "Les Larmes d’Adalasie"

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Je pousse la porte de mes appartements, et elle est là, debout près de la fenêtre, baignée dans la lumière douce de la fin du jour. Adalasie. Ses cheveux, plus sombres qu’à notre mariage, tombent en boucles épaisses sur ses épaules. Elle porte une robe simple, d’un bleu profond, qui contraste avec la pâleur de sa peau. Quand elle se tourne vers moi, ses yeux me frappent. Ce ne sont plus ceux d’une jeune fille, innocents et pleins d’admiration. Ce sont ceux d’une femme, brûlants de colère et de douleur.

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Je m’arrête net. Pendant un instant, je la vois comme si c’était la première fois. La grâce de ses mouvements, la détermination dans sa posture. Adalasie n’est plus l’enfant que j’ai épousée il y a cinq ans, mais une femme forte et résolue. Et pourtant, dans cette force, je perçois une vulnérabilité qui me serre la gorge.

« Alors, c’est vrai ? » Sa voix tremble à peine, mais chaque mot est une lame.

Je reste silencieux, le souffle court. J’ai affronté des hommes d’armes, des intrigants et même des bandits sans ciller, mais devant elle, je suis désarmé. Elle avance d’un pas, croisant les bras, et ses doigts serrent le tissu de ses manches comme si elle cherchait un appui.

« Parle-moi, Roncelin. Dis-moi que ce ne sont que des mensonges. Dis-moi que... » Sa voix se brise, et elle détourne les yeux. Elle inspire profondément, puis me fixe de nouveau. « Non. Tu ne peux pas, n’est-ce pas ? »

Je baisse la tête. « Adalasie, je... »

Elle lève une main, me coupant. Ce geste, si simple, si précis, m’écrase davantage que toutes les accusations du monde. « Pas d’excuses. Je veux la vérité. »

La vérité. J’inspire à mon tour, cherchant mes mots. Mais mes pensées se bousculent, incohérentes. Je la regarde, essayant de comprendre ce que je ressens. Elle a grandi, mûri, et pourtant, j’ai continué à la traiter comme une enfant. À l’utiliser comme un ornement, un moyen de consolider mes alliances. Et maintenant, ses yeux, pleins de larmes qu’elle refuse de laisser couler, me montrent à quel point je l’ai sous-estimée.

« Je n’ai jamais voulu te blesser, » dis-je enfin, ma voix rauque.

Elle rit, un son bref et amer, comme une corde qui se brise. « Me blesser ? Roncelin, tu m’as menti depuis le premier jour. Tu m’as laissée croire que... » Elle s’interrompt, ses lèvres tremblant. « Que tu m’aimais. »

Je veux protester, mais les mots meurent dans ma gorge. Comment pourrais-je nier ? Je l’ai laissée croire cela, parce que c’était plus simple. Parce que j’étais lâche.

« Je t’ai respectée, » dis-je, presque en murmure. « J’ai essayé de... »

« Respectée ? » Elle fait un pas de plus, si proche que je peux voir la brillance des larmes dans ses yeux. « Roncelin, je n’avais que seize ans. J’étais seule, effrayée, et toi, tu étais tout ce que j’avais. Et toi, tu... » Elle détourne brusquement le visage, serrant ses bras contre elle.

Je m’approche, hésitant, tendant une main vers elle, mais elle recule, secouant la tête. « Non. Ne me touche pas. »

Je reste figé, ma main retombant lentement. Une part de moi veut se défendre, lui dire que mes escapades n’avaient rien à voir avec elle, que c’était ma façon d’échapper aux tensions, aux complots, à cette vie qui ne m’a jamais laissé de répit. Mais en la regardant, je comprends que ces justifications ne signifient rien pour elle. Rien pour moi non plus, désormais.

« Tu mérites mieux, » finis-je par dire, ma voix brisée.

Elle éclate en sanglots, les larmes coulant enfin sur ses joues. « Je ne voulais pas ‘mieux’, Roncelin. Je voulais toi. Mais pas cet homme. Pas... ça. » Elle essuie ses larmes d’un geste rapide, furieux, et recule encore d’un pas.

Je reste là, immobile, la gorge serrée, incapable de trouver les mots. Pendant un instant, je vois tout ce que j’ai détruit. Tout ce que j’ai pris pour acquis. Et je me hais.

Elle s’immobilise près de la porte, me lançant un dernier regard, ses yeux désormais secs, mais pleins d’une froide détermination. « Je ne te quitterai pas, Roncelin. Pas pour le moment. Mais ne crois pas que je te pardonne. »

Elle quitte la pièce, et le silence retombe. Je m’affaisse sur une chaise, le regard perdu. Pour la première fois depuis des années, je me demande si je suis vraiment l’homme qu’il me plaît de croire. Et je réalise qu’Adalasie, cette femme que je n’ai jamais su aimer comme elle le méritait, est peut-être la seule personne qui pourrait me sauver de moi-même.

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