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Chapitre 2.5 Début avril 1200 : Vers la Grande Bataille

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Les nouvelles se propagent comme le souffle d’un mistral vigoureux : les troupes du Comte de Forcalquier approchent. Elles ont traversé la Durance et bivouaquent près de Saint-Rémy-de-Provence. Demain, elles seront prêtes à renforcer nos forces. Cette lueur d’espoir illumine une situation qui n’a cessé de s’obscurcir ces derniers jours.

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Les Sarrasins continuent de ravager les campagnes, méthodiques et implacables. Les flammes de leurs pillages illuminent les collines la nuit, et les villages désertés racontent leur histoire de terreur et de dévastation. Nous manquons d’hommes pour les affronter directement. Je prends donc une décision : j’envoie mon cousin Barral de Peynier en mission à Saint-Gilles. Les Toulousains de Comminges y campent toujours, et leur aide pourrait être déterminante. Barral est un cavalier rapide et rusé. « Dis-leur que chaque heure de retard compte, » lui dis-je en le regardant seller son destrier. Il acquiesce et s’élance, disparaissant dans la brume du matin.

Pendant ce temps, Adalasie montre une force d’âme qui me laisse admiratif. Face au flot incessant de réfugiés, elle organise un réseau d’aide improvisé autour de l’étang de Berre. Les châteaux de Fos et d’Istres deviennent des refuges pour les sans-abris. Je la vois diriger les opérations avec une fermeté qui impose le respect, même à Pierre de Villiers. Lorsqu’il me glisse, presque en confidence, « Votre dame est un exemple, » je ne peux qu’acquiescer, fier de la voir ainsi briller.

Cependant, ce n’est pas un moment pour la contemplation. Rioc d’Assérac revient au camp avec des informations cruciales. Grâce à ses talents de stratège et de manipulateur, il a localisé le campement principal des Sarrasins. « Ils sont retranchés sur une hauteur près de Fontvieille, » annonce-t-il. « Leur position est solide, mais si nous coordonnons bien nos forces, nous pouvons les écraser. »

Hugues des Baux, toujours prompt à l’action, propose un plan audacieux. Ses troupes, renforcées par les hommes de Forcalquier qui campent désormais à Saint-Rémy, attaqueront depuis le nord-est. Les Marseillais, les croisés et les ordres religieux lanceront une offensive simultanée depuis le sud-est, à partir de Saint-Martin-de-Crau. Si les Toulousains répondent à notre appel, ils viendront par le nord-ouest, depuis Beaucaire, refermant ainsi l’étau. Les Sarrasins n’auront d’autre option que de fuir vers Arles, où les Catalans devront défendre leurs murs, ou de périr dans la nasse.

La stratégie est audacieuse, presque désespérée, mais nous n’avons pas d’autre choix. Sous la lumière pâle de la lune, guidés par les bergers camarguais, nos forces quittent silencieusement leur position. Chaque bruit de bottes dans la nuit semble résonner plus fort que les cloches d’une cathédrale, mais nos guides nous assurent que les Sarrasins ne patrouillent pas à cette heure.

L’obscurité est totale lorsque nous atteignons notre position près de Saint-Martin-de-Crau. Nous ne sommes qu’à une lieue des envahisseurs. Les hommes se rangent en silence, s’agenouillant parfois pour prier ou murmurer des mots d’encouragement à leurs voisins. À l’aube, le camp s’éveille au son des matines.

L’évêque Rainier, en habit de guerre, monte sur une estrade improvisée pour célébrer la messe. Les croix scintillent dans les premiers rayons du soleil. Les mots sacrés du prélat résonnent dans le silence, unissant l’assemblée disparate de chevaliers, sergents, et paysans. Tous savent ce qui est en jeu.

Mon regard se pose sur les visages autour de moi : Basile, toujours prêt à rire d’un danger qu’il ne craint pas ; Arnulphe, silencieux mais dont la main ne quitte jamais le pommeau de son épée ; et Hugues de Fer, dont les yeux brillent d’une détermination farouche. Ces hommes sont ma force, mon rempart, et je sais qu’ils me suivront jusqu’au bout.

Alors que la messe touche à sa fin, le silence s’épaissit autour de l’armée rangée en bataille. Les prières de l’évêque Rainier s’élèvent encore dans l’air frais de l’aube, mais tous les regards scrutent la crête sombre qui domine l’horizon à notre droite. Là-bas, derrière ces hauteurs, les troupes de Forcalquier se préparent à faire mouvement. Si tout se déroule comme prévu, un signal doit annoncer leur arrivée.

Je serre la garde de mon épée, immobile mais tendu comme une corde d’arc. Une éternité semble s’écouler avant qu’un sifflement déchire soudain le silence. Je lève les yeux : une gerbe lumineuse fend l’obscurité au-dessus de la crête, traçant une courbe éclatante dans le ciel. La comète des Baux de Provence, symbole de leur dynastie, étend sa lumière dans un éclat d’or et de blanc, marquant la présence de Hugues et de ses hommes.

Un murmure d’approbation parcourt les rangs. La comète ! Ce signe, emprunté au blason de nos alliés, enflamme l’espoir de nos troupes. Je distingue même quelques sourires dans la lueur tremblotante qui s’éteint lentement. « Hugues est là, » souffle Basile à voix basse, son regard rivé à la crête.

Mais mon cœur reste lourd. Une seule comète n’annonce que la présence des Baux, et non celle des forces de Forcalquier. Les secondes s’étirent, oppressantes, tandis que je fixe obstinément la crête. L’attente devient insupportable, et je me surprends à murmurer une prière. La lueur d’espoir laissée par la première fusée vacille face à l’incertitude.

Puis, enfin, le ciel s’embrase à nouveau. Un second sifflement fend l’air, suivi d’une autre explosion éclatante. Une deuxième comète jaillit, plus vive encore que la première, illuminant les hauteurs dans une gerbe éblouissante. L’écho de l’explosion roule comme un tonnerre, emportant avec lui mes doutes et mes peurs.

Les hommes autour de moi laissent échapper un cri de joie. Cette deuxième comète, si semblable à la première, est pourtant infiniment plus précieuse. Elle annonce la présence des forces de Forcalquier. Nos alliés sont là.

« Nous ne sommes plus seuls, » murmure Basile, un sourire aux lèvres.

Je me permets un soupir de soulagement. Ce signal, aussi bref soit-il, a galvanisé l’armée. La fameuse comète des Baux, répliquée dans ces fusées d’artifice laissées par Ibn Rushd, est plus qu’un simple symbole. Elle a rappelé aux Marseillais qu’ils ne combattent pas seuls, et, je l’espère, elle a semé la peur dans le cœur de nos ennemis.

Le moment est proche. La bataille qui se prépare sera décisive, mais pour la première fois depuis des jours, je sens que nous avons une chance.

Mais les Toulousains ne sont pas encore là. Je serre les dents. Nous devons attaquer, même si cela signifie prendre un risque énorme. Le temps presse, et chaque instant de retard pourrait permettre aux Sarrasins de renforcer leurs positions.

Je me tiens droit, levant mon épée pour donner l’ordre. Les hommes autour de moi retiennent leur souffle. « Que Dieu nous guide, » murmuré-je avant d’abaisser mon arme dans un geste ferme.



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