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Chapitre 1.11 : 1197 – Le Chaos et les Conséquences

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Le port de Marseille, ce matin-là, est baigné d’une lumière intense, le ciel est d'un bleu foncé qui à lui seul m'informerait du Mistral violent si je n'entendais pas les rafales faire claquer les volets de bois. Les quais s'animent pourtant d’une agitation familière : marins, marchands et chevaliers se croisent, les uns préparant des navires pour le large, les autres discutant des dernières nouvelles venues de l’étranger. Le vent soulève violemment les pans de mon manteau écarlate, brodé du lion de ma maison. Je me tiens sur le promontoire du château Babon, le regard fixé sur l’horizon, mais mon esprit est tourmenté par des affaires plus personnelles.

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Les premiers rayons du soleil jouent sur l’eau, projetant des reflets dorés qui dansent avec la houle. Chaque détail de cette scène m’est familier, et pourtant, aujourd’hui, je ne trouve pas le réconfort habituel dans cette routine matinale. Le temps semble suspendu, comme si le port lui-même retenait son souffle face aux incertitudes qui nous assaillent
Dans ma demeure, les tensions sont palpables. L’évêque Rainier, austère et inflexible, me reproche ouvertement mes écarts de conduite. Chaque visite qu’il me rend est une épreuve. Aujourd’hui, encore, il me sermonne :
« Roncelin, votre devoir envers l’Église est terni par vos scandaleuses liaisons. Vous mettez en péril l’âme de notre communauté. »
Sa voix résonne dans la grande salle, amplifiée par les murs de pierre. Je réprime un soupir, répondant avec une réserve feinte, tout en observant les ombres mouvantes des chandelles sur les tapisseries ornant les murs :
« Monseigneur, je ne suis qu'un humble pêcheur mais mes fautes n’affaiblissent pas mon engagement envers la ville. Marseille est ma priorité, et je ferai tout pour la protéger. »
Son regard perçant me transperce, mais je ne cède pas. Le prieur de Saint Victor, de son côté, s’associe aux reproches de Rainier. Les deux hommes sont unis dans leur condamnation, leur silhouette austère se détachant sur le fond de vitraux colorés. Leurs critiques m’assaillent, mais je ne peux me permettre de céder. Mes moments d’évasion avec mes maîtresses sont mon seul refuge contre l’énorme charge de mes responsabilités. Ils me donnent l'impression fugitive de maitriser au moins quelque chose, alors que depuis 3 ans je suis pris en otage d'intérêts qui me dépassent complètement et me chargent d'une responsabilité que je n'ai jamais réclamée.
Je laisse mon esprit vagabonder un instant, me remémorant les nuits passées à leurs côtés, où les préoccupations du monde semblaient s’évanouir. Ces instants, bien que fugitifs, sont une bouffée d’air dans la lourdeur de mon quotidien.
Sur le plan militaire, les nouvelles de la région sont alarmantes. Le sac de Toulon le 4 août dernier par les Sarrasins a laissé une plaie ouverte dans nos cœurs. J’ai envoyé une colonne de secours, mais l’arrivée tardive a été un échec cuisant. Je me souviens des visages meurtris des survivants, des ruines fumantes, et leurs récits des cris des captifs emmenés enchaînés. Hugues des Baux et moi avons juré de ne plus laisser une telle tragédie se répéter.
Les souvenirs de cette défaite me hantent, et chaque jour, je ressens le poids de cette responsabilité. Les cloches de l’église sonnent, marquant l’heure de la prière, et me ramènent à la réalité. En l’absence d’Alphonse, notre vicomte, nous sommes livrés à nous-mêmes. Beaucoup de ses vassaux, indignés par son inaction, commencent à se tourner vers nous pour un leadership plus ferme.
Dans cette agitation, Pierre de Villiers, mon fidèle compagnon, m’apporte des nouvelles du vaste monde. Les événements en Terre Sainte, la mort d’Henri II de Champagne et l’arrivée des contingents allemands à Acre sont des sujets de grande réjouissance, hélas bien brèves.
« Roncelin, » me dit Pierre quelques jours plus tard, une expression grave sur le visage, « l’empereur Henri VI est mort à Messine. Le chaos s’installe à nouveau en Europe. Nous devons nous préparer à d’éventuels troubles. »
Les paroles de Pierre résonnent en moi. Je ressens le poids des décisions à venir. Elie le Syriaque, avec son calme habituel, intervient :
« Mon ami, ce n’est pas seulement l’Europe qui vacille. En Orient, les tensions montent, et il est crucial de maintenir des alliances solides. Nous devons préserver la paix ici pour éviter que le chaos ne nous engloutisse. »
Je hoche la tête, conscient de la vérité dans ses paroles. Le soir tombe sur Marseille, le port se pare d’ombres mouvantes sous la lueur des torches. Les derniers rayons du soleil s’éteignent à l’horizon, laissant place à une nuit calme mais lourde de promesses sombres.
Mi Novembre apporte un nouveau souffle d'espoir. Les croisés allemand qui étaient partis avant leur Empereur ont tenté d'assumer leurs vœux. Ils se sont emparés de Sidon et de Beyrouth et ont rétabli ainsi les communications terrestres entre Acre et Tripoli. Il s’apprêtent à marcher sur Jérusalem en novembre  mais sur leur route, ils devront prendre les formidables murs de Toron.
Trois semaines plus tard, alors que nous sommes en pénitence pour le temps de l'Avent, nous apprenons que Toron tient toujours, retardant la délivrance de la Ville Sainte.
Je me retire dans mes quartiers, la tête pleine de pensées troublées. Les conséquences de mes choix personnels et politiques s’entrelacent, et je sais que l’avenir de Marseille en dépend. Assis à mon bureau, j’écris une lettre au Comte de Toulouse, implorant de l’aide pour renforcer nos défenses. L’encre s’écoule lentement, chaque mot pesant sous l’intensité de ma détermination.
Dans le silence de la nuit, je me demande : comment regagner la confiance de l’Église tout en préservant ce qui me tient à cœur ? La tempête qui approche promet d’être implacable, et pourtant, je ne peux m’empêcher de rechercher ces moments de plaisir qui sont ma seule échappatoire. La tendresse de mon épouse ne me fait point défaut, je n'ai paas cette excuse. Mais j'ai, à ma grande honte, besoin d'un aiguillon plus piquant. Marseille a besoin de moi, mais suis-je prêt à abandonner mes faiblesses pour le bien commun ?
Heureusement le Pape n'a que faire de l'humble pécheur que je suis et les diatribes des affidés d'Alphonse d'Aragon à mon égard se heurtent au mur de son indifférence tant il est occupé à profiter de la mort de l'Empereur pour affermir le pouvoir temporel de l'Eglise. Mais combien de temps pourrais-je tenir s'il venait à nouveau à regarder vers Marseille alors que même mon ami l'évèque Rainier me reproche ma conduite ?
Les heures passent, marquées par le mouvement lent des étoiles au-dessus de la cité. La fin de l’année approche, et avec elle, l’incertitude grandit. Je sais que des choix cruciaux devront être faits, et je ne peux qu’espérer que ma force et ma résolution suffiront à maintenir Marseille à flot dans cet océan de chaos.
Après la messe de Minuit, je passe toute la nuit de Noël en prière, demandant à Marie-Madeleine d'intercéder pour chasser mes démons et m'aider à retrouver le droit chemin.
Alors que les premières lueurs de l’aube filtrent à nouveau par la fenêtre, je sens le poids de la nuit la plus longue de l'année s’estomper légèrement. Le jour nouveau apporte avec lui une chance de rédemption, une opportunité de redresser la barre avant que les ténèbres ne nous engloutissent totalement. Dès demain, les jours croitront. Mais pour cela, il me faudra affronter mes démons et faire face aux épreuves à venir avec une détermination renouvelée.

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