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Chapitre 2.12 : (4&5 Août 1200) : la bataille de Rousset

4 Août 1200

La veille de la bataille, une tension sourde régnait dans notre camp. L’air, lourd d’odeurs de sueur et de cuir, portait aussi les murmures d’hommes qui se préparaient à livrer ce qui pourrait être leur dernier combat. Je m’étais levé tôt, bien avant que le soleil ne perce les collines de Provence, pour trouver un semblant de sérénité dans une prière solitaire. Mais même dans le silence du matin, mes pensées s’agitaient comme des vagues déchaînées.

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Nous savions tous que cette bataille serait décisive. Alphonse et ses Catalans étaient près de Rousset, prêts à nous écraser pour imposer leur loi. Les jours précédents avaient été un tourbillon de pourparlers, de stratégies et de désillusions.

Je me souviens encore du regard du maître des Templiers lorsque je lui ai exposé mon ultime requête. Une dernière tentative pour rallier ces guerriers de Dieu à notre cause. « Vous ne comprenez donc pas ? » avais-je lancé, la voix tremblante d’exaspération. « Si Rousset tombe, c’est tout Marseille qui suivra, et avec elle le port des Croisés ! »

Son visage était resté de marbre. « Nos ordres viennent d’en haut, Roncelin. Nous devons préserver nos forces pour des causes plus grandes. »

Les mots, froids et implacables, avaient claqué dans l’air. Il n’y avait plus rien à dire. Je savais que les Templiers étaient des alliés inébranlables dans la foi, mais leur loyauté ne se prêtait qu’à Rome. À mes côtés, Laurent de Hennencourt avait serré les poings, son visage trahissant une colère qu’il contenait à grand-peine.

Je m’étais alors tourné vers le maître des Hospitaliers, espérant trouver un soutien là où les Templiers nous avaient abandonnés. Son hésitation avait été palpable. Je pouvais voir qu’il comprenait l’importance de notre cause, mais il était coincé, pris dans les filets des ordres pontificaux. « Je ne peux risquer de désobéir, Roncelin. Si nous agissions seuls, sans l’aval du pape, cela affaiblirait notre position à jamais. »

Finalement, les moines-soldats avaient consenti du bout des lèvres à défendre Marseille elle-même, sans pour autant marcher à nos côtés sur le champ de bataille. Un maigre réconfort, mais c’était tout ce que nous obtiendrions.

En rentrant au camp, un poids écrasant s’était abattu sur mes épaules. Mes hommes, fatigués mais résolus, continuaient de préparer leurs armes et de répéter les manœuvres sous les ordres des capitaines. Je savais que beaucoup priaient pour un miracle. Moi aussi, à ma manière.

Ce soir-là, je m’étais entretenu avec Adalasie. Elle m’avait trouvé seul, assis devant une carte grossière des environs, à tracer des plans pour le lendemain. « Encore à t’épuiser l’esprit, Roncelin ? » avait-elle murmuré en posant une main douce sur mon épaule.

Je m’étais tourné vers elle, cherchant dans son regard une force que je ne parvenais plus à trouver en moi-même. « Si nous échouons demain, tout ce que nous avons bâti tombera. Nos terres, nos familles… tout. » Ma voix s’était brisée, laissant échapper une vulnérabilité que je m’efforçais d’ordinaire de dissimuler.

Adalasie, fidèle à elle-même, n’avait pas vacillé. « Si nous échouons, ce ne sera pas faute d’avoir combattu avec honneur. Mais ne te laisse pas dévorer par tes craintes. Il y a bien plus que cette bataille à protéger. »

Ses paroles, simples mais pleines de sagesse, m’avaient offert un semblant de paix. Nous étions restés là, un moment, à contempler les feux de camp qui illuminaient la plaine. Je savais que, quoi qu’il arrive, sa force serait ma boussole dans le chaos à venir.

La nuit s’était étirée, interminable, alors que je luttais contre un sommeil fuyant. Les hurlements lointains des loups se mêlaient au bruit des armes que l’on affûtait.

5 Août 1200

Ce matin, les premières lueurs de l’aube déchirent le voile de la nuit, éclairant les collines autour de Rousset. Le frémissement du vent porte jusqu’à nous les bruits sourds de l’armée d’Alphonse, établie non loin. Les alliés se rassemblent, chaque bannière flottant avec une dignité presque tragique sous le ciel rougeoyant. Le sentiment d’une bataille décisive emplit l’air. Une fois encore, je suis frappé par la solennité de l’instant.

Avant de me joindre à mes hommes, je partage un moment avec Adalasie. Elle paraît calme, mais je connais trop bien son visage pour être trompé. Derriere ses yeux clairs, l’angoisse bouillonne. « Si nous perdons, c’est bien plus qu’une bataille que nous abandonnerons, Adalasie. Ce sera l’avenir de notre maison, de nos terres, de notre foi. » Elle serre ma main, son regard ne vacillant pas. « Mais nous avons aussi bien plus à protéger, Roncelin. N'oublie pas cela dans le tumulte. »

Nous nous séparons sans un mot de plus, mais l'étreinte qu’elle me donne avant de partir me reste accrochée comme une armure invisible.

L’affrontement débute sous un soleil écrasant. Nous chargeons avec la férocité des lions, guidés par Pierre de Villiers. Sa présence est une flamme vive dans le chaos. Mais alors que nous fauchons les rangs des fantassins catalans, un cri jaillit de la mêleé : Pierre s’effondre, un dard lourd fiché dans sa gorge. Le choc me cloue le cœur.

Laurent de Hennencourt, déjà en selle, se dresse dans ses étriers et harangue les troupes. « Chevaliers ! Ne laissez pas cette perte nous abattre ! Suivez l’exemple de Pierre et luttez avec honneur ! » Sa voix résonne comme une cloche dans le tumulte. L’effet est instantané : nous reprenons la charge, le cri de nos hommes s’élevant pour répondre à l’écho des tambours ennemis.

Les heures suivantes deviennent une danse sanglante. À plusieurs reprises, nos chevaliers enfoncent les lignes ennemies, mais les Almogavres, ces guerriers catalans à pied, tiennent bon. Leur férocité dépasse tout ce que j’ai vu. Ils se regroupent derrière leurs lances, implacables comme des rocs. Leurs javelots lourds tombent sur nous avec une précision mortelle.

Nos propres archers et arbalétriers entrent dans la mêleé sur ordre de Hennencourt. À mesure qu’ils avancent, les traits fusent des deux côtés, fendant l'air dans un sifflement sinistre. L’échange devient si inténse que nos munitions viennent à manquer. Je vois les marins marseillais s’activer à réapprovisionner les tireurs, mais les ennemis profitent de cet épuisement.

C’est alors que je la vois. Adalasie, audacieuse comme toujours, conduit elle-même un chariot de carreaux d’arbalète vers nos lignes. Mais une contre-attaque de la cavalerie légère catalane – ces maudits Adalides – frappe soudain, isolant son chariot au milieu des combats. Mon cœur se serre. Adalasie est prise au piège.

Sans hésiter, je rassemble les quelques chevaliers encore proches. « Avec moi ! Nous devons la délivrer ! » Le cri jaillit de ma gorge, plus fort que les tambours ou les cris de guerre. Mes hommes, fidèles jusqu’au bout, me suivent alors que nous chargeons à travers la ligne ennemie.

La bataille autour d’Adalasie est un chaos pur. Les Adalides frappent et se replient, agiles comme des loups. Mon épée fend l'air, renversant l'un d'eux d'un coup net, mais les ennemis sont trop nombreux. Je la vois s'enfuir, escortée par Barral de Peynier, mais avant que je ne puisse souffler, un choc me transperce.

Un javelot lourd, lancé avec une force effrayante, me frappe au côté droit. La douleur est écrasante, un feu qui dévore ma poitrine. Mon souffle se coupe, remplacé par un gargouillement. Mon cheval s'emballe, me forçant à m’agripper à la selle. Tout autour, le bruit devient flou, lointain. Le ciel, auparavant bleu vif, semble s’assombrir.

Je tombe. L’impact au sol me coupe le peu de souffle qui me restait. Allongé dans la poussière, le goût du sang emplit ma bouche. Je tente de bouger, mais mes forces m’abandonnent. Mes pensées s’étiolent. Suis-je mort ? Ai-je échoué ? Mon esprit ne peut se fixer que sur une chose : Adalasie. A-t-elle réussi à fuir ? Est-elle en sécurité ?

L'obscurité m'envahit alors que mon souffle se fait de plus en plus rare. Je ne sais plus rien, sinon que mon cœur bat encore, mais pour combien de temps ?

 

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