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Chapitre 1.3 : Le Conseil de la Maison Communale (22 février 1193)

Les imposantes voûtes de la Maison Communale résonnaient des murmures et des bruits feutrés de discussions privées. Une lueur dorée émanait

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 des chandeliers massifs, projetant des ombres vacillantes sur les tentures richement ornées. Les représentants des marchands marseillais étaient tous présents, attablés autour d’une longue table de chêne. Des visages graves, certains marqués par les années passées à arpenter les mers ou à superviser les docks. Leur présence était à la fois une forme de respect et une marque de pression discrète.

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Rainier, l’évêque au visage ascétique, se tenait près de l’autel qui dominait la salle. Ses mains croisées sur sa robe brodée de pourpre contrastaient avec l’air austère de son regard. Il semblait peser chaque mot, chaque mouvement de cette assemblée.

Je pris place au bout de la table, sentant le poids de leurs attentes à chaque regard dirigé vers moi. Les événements des dernières semaines avaient été si rapides, si imprévisibles, que je n’avais pas eu le temps de réfléchir pleinement à mes actions. Mais en cet instant, il était évident que la question posée dépassait de loin mes doutes personnels.

Ce fut Hugues Jouvençal, un marchand connu pour sa fortune colossale et son goût des intrigues, qui brisa le silence le premier. Il portait une houppelande luxueuse, et sa barbe finement taillée encadrait un sourire qui mélangeait condescendance et calcul.

« Roncelin, nous ne sommes pas ici pour discuter de théologie ou de vos scrupules religieux. » Ses mots étaient directs, sans être grossiers. « Votre frère Barral est mort. Que Dieu ait son âme. Mais Marseille ne peut rester sans direction. »

Une vague de murmures approbateurs parcourut l’assemblée. Jouvençal poursuivit : « Vous êtes notre meilleur choix. Hugues des Baux, l’autre prétendant à la vicomté, est un homme dévoué à Arles, une ville qui a toujours servi les intérêts du Comté de Provence et, à travers lui, ceux de la maison de Barcelone. » Il laissa un silence peser sur ses dernières paroles, comme pour accentuer leur gravité.

« Et alors ? » répondis-je avec une pointe de défi. « Qu’importe que la Provence regarde vers Arles ou Barcelone ? »

Une voix rauque intervint, celle de Bertrand de Lauris, un vieux capitaine à la peau tannée par le soleil et les vents marins. « Cela importe parce que Marseille est devenue bien plus qu’une simple cité portuaire. Nos docks accueillent les croises en route vers les États latins d’Orient, et nos marchands en reviennent avec des trésors. Ce commerce fait vivre des centaines de familles. Si Arles ou, pire, Barcelone, prend la main sur ce marché, tout ce que nous avons bâti s’effondrera. »

Je hochai la tête, comprenant peu à peu l’ampleur de la situation. Leur inquiétude n’était pas simplement économique ; elle était existentielle. Mais mes scrupules me retenaient encore.

Rainier, jusque-là silencieux, prit enfin la parole. Sa voix, posée et empreinte de gravité, s’adressa directement à moi. « Roncelin, je sais que vos vœux prononcés à Saint-Victor pèsent lourd sur votre conscience. Mais je suis prêt à affirmer devant tous ici présents que ces vœux furent pris sous la contrainte, dans un moment de détresse. L’Église peut reconnaitre cette réalité et considérer que votre devoir envers votre ville prime. »

Ces mots, bien que rassurants, me frappèrent d’une douloureuse ambiguïté. Moi seul savais que l’ordre de Saint-Victor dépendait directement du Saint-Siège. Seul le pape pourrait me relever de mes vœux de manière canonique. Cette subtile vérité resta enfermée dans mon esprit. Je ne pouvais pas m’y appesantir en présence de ces hommes, à l’enthousiasme si palpable.

Une lutte silencieuse se jouait en moi. Mes scrupules religieux s’opposaient à mon amour profond pour cette ville. Marseille avait été le théâtre de ma jeunesse dissipée, de mes erreurs et de mes déboires, mais elle était aussi le berceau de mes plus grands espoirs. J’avais envié mon frère Barral, si vertueux et capable. L’idée de marcher dans ses pas m’était insupportable, et pourtant, la perspective d’abandonner Marseille à Hugues des Baux m’était plus insupportable encore.

« Je vous entends, Messieurs, » dis-je finalement, la voix lourde. « Mais sachez que j’accepte cette charge à titre provisoire. Si l’Église, dans sa sagesse, juge ma position indéfendable, je m’inclinerai. »

Un murmure approbateur parcourut la pièce, mais je vis aussi des regards soulagés. Rainier s’avanca pour appuyer solennellement : « En tant qu’évêque de Marseille, je déclare devant vous que Roncelin est désormais reconnu comme vicomte par la volonté des notables et avec la bénédiction de notre Mère l’Église. »

Une acclamation éclata, emplissant la salle d’une chaleur presque insupportable. Mais en mon for intérieur, une seule pensée résonnait : étais-je digne de ce fardeau, ou venais-je simplement d’ajouter une dette morale à celles, si nombreuses, qui me liaient déjà à cette ville ?



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